En avril 2007, 252 employés du Journal de Québec sont mis en lock-out par Quebecor, qui possède aussi le Journal de Montréal, TVA et le portail Internet Canoë. Ce conflit, le plus long pour un quotidien francophone au Canada, a soigneusement été préparé par Quebecor.
En juin dernier, Marc (prénom fictif) décroche un bon boulot à Montréal : journaliste pour le portail Internet Canoë.
« C’était un peu étrange parce qu’on devait travailler à la maison sans contact avec une salle de nouvelle », raconte Marc, qui avait répondu à une annonce Internet pour une quinzaine de postes chez Canoë. « On m’a dit qu’il n’y avait pas de place pour nous accueillir, que c’était un projet pilote. J’ai accepté, parce que c’était bien payé. Environ 50 000 $ par année. »
Par téléphone, Marc est en contact avec son patron qui lui donne ses affectations. En fin de journée, il envoie ses textes par courriel.
Quelques semaines plus tard, son père à Québec lui fait remarquer que ses textes publiés sur le site de Canoë sont repris dans le Journal de Québec, qui est en lock-out. « J’étais inquiet que mon nom apparaisse », affirme Marc. Son nom n’est cependant pas publié. Il pose malgré tout des questions à son patron : « Est-ce qu’on est une équipe de rechange pour les journalistes du Journal de Québec ? » Les réponses restent évasives.
Puis en octobre, Quebecor prétend devant la Commission des normes du travail ne pas connaître l’identité de ceux qui écrivent des textes pour Canoë repris dans le Journal de Québec. « C’est à ce moment-là que j’ai vraiment réalisé ce qui se passait. On était des scabs », soutient Marc, qui ne travaille plus pour Canoë.
Les manœuvres de Quebecor
Quebecor use d’une panoplie de stratagèmes, puisque des cadres supplémentaires avaient auparavant été embauchés pour remplacer les employés syndiqués en cas de grève ou lock-out. Selon le syndicat, 14 cadres ont commencé à travailler trois mois avant l’échéance pour ainsi respecter les normes antibriseurs de grève. Ils se chargent d’écrire des articles et de produire le journal.
Le PDG de Quebecor, Pierre-Karl Péladeau, est aussi à l’origine de la création de l’agence de presse Nomade, dédiée exclusivement à fournir du contenu à Quebecor Media. Sylvain Chamberland, ex-cadre de TVA et propriétaire de cette agence « indépendante », soutient que monsieur Péladeau l’a approché pour conclure une entente l’été dernier.
Nomade fournit donc des articles au Journal de Québec, tandis que les besoins photos sont remplis par l’agence Keystone, inexistante dans la Vieille Capitale avant le lock-out .
Le syndicat réplique
Le syndicat des employés du Journal de Québec accuse Quebecor d’avoir recours à des briseurs de grève devant la Commission des relations du travail. Pour Stéphane Villeneuve, statisticien en lock-out du Journal de Québec, et trésorier du syndicat de la rédaction, il est clair que ces briseurs de grève nuisent à leur cause : « S’ils n’étaient pas là, le conflit serait réglé depuis longtemps. » Stéphane Villeneuve refuse toutefois de les juger, mais il déplore les faibles pénalités auxquelles s’expose Quebecor : « Les amendes prévues sont ridicules ! »
Malgré un an de conflit, il garde le moral. « Le fait de participer au MédiaMatinQuébec nous permet de rester positif », dit-il. La mise en demeure qu’il a reçue de Quebecor au début du conflit l’a motivé à lutter. Il ne pense pas que le lock-out se termine avant l’automne, mais au moins l’hiver est passé ! Pour Stéphane Villeneuve, le plus difficile sera « de retravailler avec des gens qui nous ont menti en pleine face ».