Quebecor en croisade contre le financement public

vendredi 4 novembre 2011, par Émilie Couture-Brière

Pour faire corps à la salve envoyée hier à l’empire Quebecor par l’émission Enquête, un excellent article publié dans le bulletin d’août. Cette fois-ci, c’est la question du financement qui y est abordée.

« Faites ce que je dis, pas ce que je fais » : c’est en quelque sorte le message que nous envoie les entités de Quebecor Media à propos du recours au financement public provincial et fédéral. Les récentes attaques ciblées faites par les journalistes de Sun Media et du Journal de Montréal sont le reflet de l’hypocrisie qui habite depuis longtemps ce géant de l’information.

Rappelons les faits

Le 5 mai dernier, Nathalie Elgrably-Levy dans sa chronique du Journal de Montréal, dénonce l’utilisation par l’État des fonds publics pour financer la culture, une activité pourtant non rentable selon l’auteure. « Au risque d’être politiquement incorrecte », elle use de sa franchise pour signifier aux artistes que s’ils vivent dans la misère, c’est parce que leur talent n’est pas en demande ou qu’ils sont tout simplement dépourvus de talent.

Un mois plus tard, l’animatrice Krista Erickson de Sun News (fondé par Quebecor Media grâce au partenariat entre le Groupe TVA et Sun Media) s’attaque, elle aussi, au financement public des arts. Elle décide de s’en prendre férocement à la danseuse étoile canadienne Margie Gillis dans une interview au cours de laquelle l’invitée se fait littéralement lyncher publiquement. L’animatrice, loin de s’intéresser au talent de la danseuse, l’accuse d’avoir reçu, personnellement ou par le biais de sa compagnie, 1 200 000 dollars (un peu moins de 100 000 $ par année) de fonds publics au cours des 13 dernières années.

Récemment, Éric Duhaime, chroniqueur pour QMI Press (Quebecor Media Inc.) dont la lutte contre le financement public se retrouve dans de nombreux écrits, s’en est durement pris à Alternatives International dans un article publié dans le Toronto Sun du 7 juillet dernier. Il reproche à l’ONG Alternatives de dilapider l’argent des contribuables (769 828 $ en 2010-2011) pour des projets qui, selon le chroniqueur, « n’apportent pas réellement une aide démocratique et humanitaire ». Rappelons qu’Alternatives International est une fédération de neuf organisations reconnues internationalement et dont Alternatives Montréal est le membre canadien. Le financement ainsi critiqué par Duhaime est celui attribué exclusivement à Alternatives Montréal pour des projets de développement en Irak, en Afghanistan, et à Haïti, les trois priorités du gouvernement canadien.

L’exemple à ne pas suivre…

Lorsque des journalistes utilisent la tribune qu’on leur offre non seulement pour mettre de l’avant leurs préférences politiques, mais également pour condamner publiquement des entités bénéficiaires de l’aide financière du gouvernement, on peut se questionner sur leur propos et sur la place qu’occupe aujourd’hui l’éthique journalistique au Canada.

D’autant plus qu’au centre de cette croisade contre le financement public, les principaux accusateurs, Sun Media et le Journal de Montréal, semblent avoir oublié qu’ils sont en train de cracher dans cette main qui les nourrit, eux aussi, depuis plusieurs années.

L’aide publique aux créateurs, c’est d’abord celle envers les entreprises créatrices de contenu télévisuel, radiophonique et écrit. La journaliste Nathalie Elgraby-Levy, qui s’en prend aux arts et à la culture, doit pourtant bien le savoir en tant que membre du conseil d’administration du Groupe TVA.

Les publications de TVA (TV Hebdo, Le Lundi, 7 Jours, Échos vedettes, etc.) ont en effet reçu un total de 3,9 millions de la part du Fonds canadien pour les périodiques en 2010-2011. Le magazine TV Hebdo à lui seul a reçu 1 157 000 $. Ironiquement, le Fonds canadien pour les périodiques fait partie de Patrimoine Canada, un ministère qui fait la promotion de la vie culturelle et communautaire.

« Le soutien financier du Patrimoine canadien est essentiel à la viabilité des petits journaux comme le nôtre », a même affirmé l’éditeur à Sun Media, Dave Sykes, à l’annonce de nouvelles subventions du gouvernement canadien pour les journaux communautaires. En 2010, Patrimoine Canada avait octroyé 341 782 $ dans le cadre du programme Aide aux éditeurs. De nombreux journaux récipiendaires de cette aide sont la propriété de Quebecor (57 291 $ à The Goderich Signal-Star, 40 673 $ à The Shoreline Beacon, 32 246 $ à The Kincardine News, et la liste continue).

Pire encore, les journalistes de Sun News, Erickson et Duhaime, ont omis de mentionner que la plateforme médiatique dont ils bénéficient est également subventionnée par des fonds de l’État. Le Fonds des médias, un partenariat public-privé auquel Ottawa contribue à hauteur de 40 %, verse chaque année des sommes importantes aux télédiffuseurs comme TVA et Sun TV. La chaîne TVA, à elle seule, a reçu 18,5 millions $ en 2010-2011.

Des sommes non négligeables auxquelles viennent se greffer des crédits d’impôt de toutes sortes accordés par la Sodec (Société de développement des entreprises culturelles) aux multiples filiales de Quebecor, notamment Quebecor Groupe Livre et Groupe Archambeault.

Le PDG de Quebecor, Pierre-Karl Péladeau, ne s’est d’ailleurs jamais caché de l’importance de ces subventions gouvernementales. Le 14 juin 2010, dans une lettre à l’Honorable James Moore, ministre du Patrimoine, il menaçait de poursuivre le Gouvernement fédéral s’il ne changeait pas les critères d’admissibilité au Fond des médias du Canada afin que des émissions comme Star Académie reçoivent leur enveloppe de subventions.

Politique et cotes d’écoute

Le plus aberrant dans tout cela, c’est Sun News , ce réseau de nouvelles continues lancé par Quebecor à la fin du mois d’avril dernier. Il vient s’ajouter à la plus grande chaîne de journaux au pays, les journaux Sun Media, qui ont émergé un peu partout dans les grandes villes de Toronto, Ottawa, Calgary, Edmonton ou encore Winnipeg.

« Le ton tranchera nettement avec ce que les téléspectateurs ont l’habitude de voir au Canada, ce sera moins politiquement correct et nous mettrons l’accent sur les sujets qui intéressent vraiment les gens, les sujets dont on parle devant la machine à café au bureau, ou autour de la table », indiquait l’un des hauts dirigeants de Sun News, Luc Lavoie.

Cela en dit long sur le nouveau compétiteur officiel de CBC News et CTV. Avec à sa tête l’ancien directeur des communications du premier ministre Stephen Harper, Kory Teneckey, on peut s’attendre à un virage à droite plus rapide que prévu dans le monde médiatique.

Chez Quebecor, le « politically incorrect » semblerait donc côtoyer de plus en plus le « politique » tout court. Une combinaison dangereuse qui mène beaucoup plus facilement aux scandales qu’à l’information objective comme en témoignent les récents épisodes sur le financement public. Évidemment, l’intégrité journalistique devient plutôt accessoire quand on sait que les cotes d’écoute riment également avec financement du gouvernement…

Photo : Émilie Couture-Brière

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