Le mercredi 13 juin au Gesù, l’Institut du Nouveau Monde organisait une table ronde sur le conflit étudiant. Marcos Ancelovici, Mathieu Bock-Côté, Pier-André Bouchard-Saint-Amand, Madeleine Gauthier et Diane Lamoureux étaient invités à décortiquer la signification sociale du conflit étudiant. La soirée s’est déroulée en quatre temps. La présentation d’un reportage de dix minutes sur les tintamarres de casseroles a été suivie d’une période d’échanges au cours de laquelle le public et les invités ont eu l’occasion de commenter le phénomène des manifestations de casseroles. Par la suite, les cinq invités ont tour à tour présenté leur hypothèse quant à la raison pour laquelle le conflit étudiant perdure, après quoi le public a pu à son tour échanger avec les invités sur le sens caché du conflit étudiant.
À l’entrée, des bulletins de vote étaient distribués au public. La question, « Que cache le conflit étudiant pour durer si longtemps ? », présentait sept choix de réponse : ras-le-bol, contexte pré-électoral, révolution en attente, résistance au changement, appel de démocratie participative, conflit de générations, conflit entre libéralisme et social-démocratie. Aucun des choix de réponse ne concernait les frais de scolarité. Un consensus s’était installé au Gesù : le conflit étudiant véhicule bien plus de choses qu’une simple opposition à la hausse des frais de scolarité. Qui plus est, ce sujet a été quasiment absent à la table ronde, pour laisser place à un débat sur le sens social du conflit étudiant.
Un malaise social ?
Pour Diane Lamoureux, professeure au département de Science politique de l’Université Laval, il y a présentement au Québec un malaise social généralisé qui s’exprime à travers le conflit étudiant. Ce malaise social, caractérisé par une opposition au projet de réingénierie de l’État du gouvernement Charest, témoigne de la volonté d’une partie de la population québécoise de bâtir un projet de société qui soit fondé sur des idées autres que néolibérales. « Il y a une volonté de reconsolider le lien social sur des bases différentes de celles des intérêts corporatistes », soutient-elle. Le projet de réingénierie de l’État du gouvernement (néo)libéral fragilise le lien social, selon Mme Lamoureux. L’idéologie néolibérale engendre la déstructuration sociétale et l’atomisation sociale. Qui plus est, elle augmente les inégalités sociales et promeut une image réductrice de la société.
Mathieu Bock-Côté, chroniqueur au Journal de Montréal, croit quant à lui que le malaise social actuel remonte à l’échec référendaire de 1995. Depuis une dizaine d’années, le Québec connaît un « décrochage entre l’offre et la demande politiques ». Ce décrochage politique se traduit par des faibles taux de participation aux élections, la remise en cause du bipartisme PLQ-PQ avec la montée de l’ADQ en 2002-2003, et par la vague orange du NPD en 2011, qui exprime un désir de la population québécoise de dépasser la question nationale. Depuis l’arrivée au pouvoir des Libéraux en 2003 cependant, le débat politique au Québec opposait essentiellement le cynisme de la population à une classe politique homogène. Le conflit étudiant est, pour M. Bock-Côté, l’étincelle qui a possiblement permis la « conversion du cynisme en espérance politique ». Il ne reste plus qu’à savoir si cette espérance politique va pouvoir un jour se muer en projet de société.
La bataille de l’opinion publique
Selon Madeleine Gauthier, de l’Observatoire Jeunes et Société, les étudiants pourraient avoir perdu « la bataille de l’opinion publique ». Depuis le début du conflit, Mme Gauthier soutient que le gouvernement Charest s’est appuyé sur le soutien de trois acteurs sociaux pour maintenir sa ligne dure envers les associations étudiantes : l’opinion publique, la communauté des Affaires, et les directions des universités. Concept assez vague, l’opinion publique est en grande partie construite à partir de son image véhiculée dans les médias. Faute d’avoir affirmé dès le début du conflit que le mouvement étudiant se voulait pacifique, les étudiants ont permis au gouvernement de récupérer les actes de violence perpétrés par des casseurs pour associer les « carrés rouges » à la violence. Ce slogan de la violence semble avoir été compris par une partie importante de la population. Si les étudiants ont appris quelque chose de ce long conflit, c’est bien d’éviter les pièges qui leur auront été tendus par les médias et le gouvernement.
Un souci de démocratie participative
Peu importe son issue, le conflit étudiant aura permis à une bonne partie de la population du Québec de renouer avec l’idéal de la démocratie participative. En effet, la société québécoise est présentement divisée entre deux conceptions de la démocratie, croit Mme Gauthier. De leur côté, les étudiants font preuve d’une volonté de discuter et d’en arriver à un consensus. Le gouvernement, lui, justifie sa ligne dure par sa majorité parlementaire, résultat de la démocratie représentative. Pour Marcos Ancelovici, Professeur au département de sociologie de l’Université McGill, l’appel à la démocratie participative s’explique en partie par l’absence de relais politique pouvant porter les nouvelles revendications populaires. Ne se reconnaissant plus dans les partis politiques, une partie de la population québécoise se tourne vers le pouvoir de la rue. La rue devient donc le théâtre d’un cycle de protestations, au sein duquel les mouvements sociaux se nourrissent les uns des autres. Pour M. Ancelovici et les autres invités, cette mobilisation populaire ne risque pas de s’éteindre avec un règlement de la question des frais de scolarité. Plus qu’une colère circonstancielle, la mobilisation populaire est l’expression de la volonté d’une portion importante de la population du Québec de déboucher sur l’avenir, et de pouvoir continuer à s’exprimer librement.