Paraguay

Quand les prisonnières s’emparent des ondes

vendredi 30 novembre 2007, par Valérie Fournier L’Heureux

Chaque semaine, depuis cinq ans, une émission radiophonique est produite en direct dans la prison pour femmes de Buen Pastor, à Asuncion, la capitale du Paraguay. Animée par les prisonnières, elle porte sur des thèmes qui les touchent de près. Nouvelles fraîches sous les verrous.

ASUNCION - Derrière la cours principale, dans un minuscule local, une dizaine de femmes s’entassent et attendent fébrilement l’équipe technique en provenance d’une radio communautaire régionale, Radio Viva. Peu avant l’entrée en onde, c’est le branle-bas de combat : on branche l’équipement, on s’échange les nouvelles de dernières minutes à diffuser durant l’émission, on s’organise.

Puis, le silence s’installe. Vingt heures a sonné, la musique d’ouverture se fait entendre... les prisonnières sont fin prêtes à s’emparer des ondes.


Une réalité carcérale difficile

Rien ne prédisposait pourtant ces jeunes femmes incarcérées à s’emparer d’un microphone. Le quotidien derrière les barreaux est loin d’être rose : insalubrité, délabrement, violence et climat de peur forment la réalité quotidienne. De plus, les femmes qui sont déjà condamnées vivent dans les mêmes conditions que les femmes qui attendent leur procès, dans certains cas depuis plus de deux ans.
Les crimes reprochés sont variés : vol, avortement, trafic de drogue, meurtre. Le visiteur croise avec une certaine surprise une multitude de bambins qui passent leur prime enfance à l’intérieur de la prison, puisque les prisonnières peuvent conserver leur marmaille avec elles jusqu’à l’âge de six ans. Bref, la population carcérale est pour le moins variée. Tout ce qu’il manquait, c’était un peu d’espoir...

L’espoir de se faire entendre

Oscar L. Boltes, journaliste paraguayen travaillant à Radio Viva, a des étoiles dans les yeux lorsqu’il parle du projet qu’il a initié. Chaque semaine, depuis cinq ans, il se rend le lundi soir à l’unique prison pour femmes du Paraguay, le pénitencier de Buen Pastor. Il s’y occupe de la logistique et de l’organisation du programme intitulé Voces de esperanza (Voix d’espoir) animé par les prisonnières.

« L’objectif de cette initiative consiste à favoriser la réinsertion sociale de la population carcérale, d’abord par la réalisation de l’émission elle-même, mais aussi grâce à des formations de rédaction et de locution qui se déroulent aussi sur une base hebdomadaire. En cinq ans de diffusion quasi ininterrompue, des femmes privées de liberté ont utilisé le micro pour faire entendre leur voix à l’extérieur des murs de la prison. »

Le journaliste ajoute que cette émission constitue un espace unique. « Nulle part ailleurs on ne peut trouver un endroit où des femmes privées de leurs droits peuvent s’exprimer ainsi, librement, sur les ondes publiques. En plus, cela permet à ces détenues d’apprendre à dialoguer, à confronter leurs idées par le biais de la parole, sur un mode plus constructif. Cela représente pour elles un excellent exercice de communication. » Sans compter que cette expérience permet à ces femmes de convaincre les juges qu’elles ont utilisé leur période d’incarcération à bon escient.

L’émission tend à être construite sur des bases égalitaires, ce qui n’a pas empêché l’apparition de quelques leaders naturels. Durant les quatre premières années de transmission, l’animatrice principale fut Mirian Chavez. Elle a toutefois obtenu sa liberté au début de l’année 2007, après six ans d’incarcération. Restait à voir si l’émission radiophonique pouvait lui survivre.

Heureusement, la « passation des pouvoirs » s’est faite sans heurts. Francisca Andino, religieuse et membre du parti d’opposition Patria Libre, a repris les rênes avec succès. Elle est secondée par une dizaine d’autres femmes qui désirent aussi se faire entendre, malgré leur réclusion. Madame Andino ne cache pas qu’elle participe à l’émission principalement pour communiquer avec le monde extérieur, ce qui lui manquait le plus depuis sa condamnation.

« Cela m’aide aussi dans ma formation. Avant, j’avais participé à des émissions radiophoniques, mais jamais d’une manière aussi suivie, chaque semaine. Je prends cela très au sérieux, souligne-t-elle. Je mets beaucoup d’efforts pour arriver préparée le lundi soir, pour parler avec autorité et crédibilité. J’espère aussi apprendre à communiquer mes idées au plus large auditoire possible. J’ai peut-être 47 ans, mais j’ai encore beaucoup à apprendre. »

Les retombées bénéfiques de ce programme se concrétisent de plus en plus. Un projet similaire a débuté le mois dernier dans la prison pour adolescents du pays. Par ailleurs, un récent cas de torture perpétré par un gardien de la prison de Buen Pastor a pu être dénoncé, grâce notamment à l’émission Voces de esperanza. Les prisonnières savent maintenant qu’elles peuvent se faire entendre, et qu’il y a des gens de l’autre côté des barreaux qui les écoutent.
Certaines rêvent même de continuer à faire de la radio après leur libération. Justina Quispe, une Bolivienne incarcérée depuis neuf ans et qui obtiendra son congé l’année prochaine, est l’une de celles-ci. « On m’a donné tout l’équipement nécessaire pour faire un petit studio de radio indépendant. J’aimerais vraiment beaucoup continuer à m’exprimer sur les ondes quand je reviendrai chez moi en Bolivie. »

Et c’est ainsi que se multiplient les voix d’espoir...

Le Paraguay en quelques chiffres
* Population : 6 670 000 habitants
* Superficie : 406 750 km2 (légèrement plus petit que la Californie)
* PIB par habitant : 4800$
* 1954-1989 : Règne du dictateur Alfredo Stroessner, à la tête du Parti Colorado
* 1989-... : Le Parti Colorado continue de régner sur la structure exécutive et législative du Paraguay
* Sur le terrain, l’arrivée de la démocratie et du multipartisme semble avoir engendré bien peu de changements : les militaires, la corruption et le narcotrafic demeurent omniprésents, tandis que la société civile reste encore balbutiante. Elle commence toutefois à voir surgir des initiatives encourageantes. Un de ses membres, Radio Viva, créée au sortir de la dictature, est une radio communautaire qui émet depuis la périphérie de la capitale, Asuncion, et qui tente de changer un peu les choses.

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Partagez cet article sur :

  •    

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca