La communauté internationale a chaudement applaudi la décision du Canada d’accueillir des réfugié-es syriens, lui permettant d’exhiber un visage nettement plus humaniste que celui proposé par le gouvernement de Stephen Harper. Toutefois, certaines décisions — peut-être parce que moins médiatisées — viennent obscurcir le nouvel humanisme canadien. Il en est notamment de l’accord conclu certes par l’ancien gouvernement conservateur, mais défendu avec tout autant de ferveur par le gouvernement actuel.
Cet accord prévoyant la vente à l’Arabie Saoudite de véhicules blindés légers est estimé entre 13 et 15 milliards de dollars américains.
Évidemment, d’un point de vue économique, cet accord s’avère être extrêmement lucratif. Toutefois, la question se pose : pourquoi le Canada commerce-t-il avec un État aussi peu respectueux des droits de l`Homme. Cette controverse nous pousse à remettre en question les intentions d’un gouvernement qui s’est voulu diamétralement opposé à son prédécesseur.
Absence de rupture entre le gouvernement conservateur et le gouvernement libéral
Des voix, comme celle d’Amnistie Internationale, se sont élevées sous le gouvernement Harper, mais n’ont pas cessé avec l’arrivée des libéraux. On exigence de rendre publics les rapports sur l’état des droits de la personne chez le « client » saoudien. Pour de nombreux membres de la société civile canadienne, il est inadmissible de vendre des armes à un État qui se comporte avec autant de furie et de brutalité envers ses citoyen-es, aussi désobéissants et contestataires soient-ils.
Soulignons toutefois que cette entente entre le Canada et l’Arabie saoudite n’est pas le seul paradoxe qui favorise la position de l’Arabie saoudite. Rappelons que l’ambassadeur de Riyad auprès des Nations unies, Faisal Trad, a été désigné à la présidence du comité onusien des Droits de l’Homme, quelques mois après la conclusion de l’entente.
Malgré une forte pression de la société civile, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, n’a pas consenti à la publication de l’entente. Il a prévu uniquement la parution d’une version censurée afin de calmer les tensions. En plaidant la défense et la sécurité de ses sources, il a réussi à éviter de divulguer des informations qui pourraient compromettre la conclusion de l’accord.
Ainsi, cet accord questionne la rupture entre le gouvernement conservateur et le gouvernement libéral. Le parti conservateur utiliserait même cet accord, qu’il a pourtant conclu, comme sujet de discorde. Dès lors, certaines questions paraissent essentielles à poser, notamment celle de connaitre les raisons d’une telle politique étrangère du Parti libéral.
L’argument économique n’explique pas tout
L’argument économique ne convainc pas. En effet, en respectant l’accord, le Canada se positionne comme un marchand d’armes digne de confiance, prêt à vendre ses armes à des états aussi virulents vis-à-vis de ses opposants. Le plus grand accord d’exportation de l`histoire du Canada est censé produire 3 000 emplois directs et rapporter pas moins de 13 milliards de dollars américains. Toutefois, existe-t-il des raisons stratégiques qui expliquent la vente de blindés à la garde nationale saoudienne, principal organe de répression du régime ?
À travers cet accord, et malgré l’annonce de la retraite de l’armée canadienne des régions en conflit avec l’organisation de l’État islamique, le Canada reste présent sur la scène internationale et plus précisément au Moyen-Orient. À travers cet accord, le Canada peut aussi consolider ses relations avec la puissance régionale qu’est l’Arabie Saoudite. Il affiche clairement son alliance avec un État souvent pointé du doigt quant à ses pratiques contraires aux droits de l`Homme.
Bref, ce réalisme d’État déçoit. Le premier ministre Justin Trudeau n’a pas cessé de répéter qu’il y aurait du changement. Avec l’arrivée du gouvernement libéral, nous avons peine à identifier la rupture avec le gouvernement précédent. Le maintien d’un tel contrat fait du Canada un pays qui soutient tout autant une politique belligérante et interventionniste que celui que nous croyions avoir laissé derrière nous. Alors : les libéraux, sont-ils en train de se conservatiser ?