Dossier économie et privatisation

Quand la privatisation mène à la mobilisation

jeudi 30 avril 2009, par Stephanie Rousseau

Pendant que Montréal se débat avec le scandale des compteurs d’eau confiés à l’entreprise privée, les Boliviens peuvent se vanter d’avoir empêché la privatisation de leur réseau d’aqueducs. À deux reprises depuis dix ans en Bolivie, de grandes mobilisations populaires ont réussi à renverser des contrats conclus entre l’État et de grandes entreprises multinationales.

En Bolivie, deux des plus grandes villes du pays ont été secouées par de fortes mobilisations contre la privatisation des services publics d’eau : Cochabamba en 2000 et El Alto en 2005. Dans ces villes, des paysans, des syndiqués, des étudiants, des religieux et des milliers d’autres citoyens se sont associés pour protester contre les contrats conclus entre des consortiums d’entreprises étrangères et le gouvernement. « Les gens ont rapidement compris l’urgence d’agir et de bloquer ces tentatives d’ultra néolibéralisme, qui ne représentaient pas leurs valeurs et leur mode de vie », dit Carlos Crespo, professeur de sociologie à l’Université San Simón, à Cochabamba.

Manifestation contre la privatisation de l’eau à La Paz en 2006.
Source Flickr/pablorojo

Cité dans Le Monde diplomatique, le vice-président de la Bolivie, Alvaro García Linera, explique que la force du mouvement social bolivien repose sur la diversité de la base, qui s’oppose sur de nombreux sujets, mais qui sait s’unir autour de valeurs communes quand des causes l’exigent : « Divisions territoriales, idéologiques, religieuses, de classe... À certains moments, ce mouvement construit des unités territoriales, locales, autour de thèmes très quotidiens - eau, électricité, énergie. En période de tension, cela se transforme en force et en actions collectives, qui, au moment le plus aigu de la confrontation, s’articulent en mouvement de masse. Avant de re-sombrer dans la division une fois l’objectif atteint. »

La guerre de l’eau

Cette lutte a été appelée « La guerre de l’eau ». En septembre 1999, le gouvernement d’Hugo Banzer, ex-dictateur durant les années 1970, revenu au pouvoir démocratiquement en 1997, signe un contrat qui privatise pour 40 ans le service d’administration des eaux publiques de Cochabamba. La troisième ville du pays a de grands besoins en eau, même les citoyens les plus fortunés n’en reçoivent que 2 à 3 heures par jour. Le contrat, octroyé au consortium Aguas de Turani, avec à sa tête l’entreprise américaine Bechtel, doit creuser un tunnel pour acheminer l’eau d’une vallée voisine, construire un barrage et une usine de traitement.

Le consortium compte financer les travaux en augmentant les tarifs de l’eau. Mais les prix, censés augmenter de 35 %, sont plutôt haussés de 80 à 200 %, ce qui provoque la colère d’une grande partie de la population et engendre de forts mouvements de protestation.

En avril 2000, face à l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement bolivien déclare l’état d’urgence pendant trois mois dans le pays. Tout rassemblement populaire est interdit. Mais au lieu de calmer le jeu, le recours à cette mesure d’exception a l’effet contraire et attise la colère des protestataires, qui continuent de manifester.

Devant la colère populaire, le consortium Aguas de Turani décide finalement de quitter le pays, et le gouvernement bolivien modifie la Loi sur l’eau. Pour Carlos Crespo, c’est l’importance de la mobilisation qui a forcé le gouvernement à revenir sur ses positions. « Depuis le retour de la démocratie en 1982, des mesures d’exception ont souvent été utilisées par le régime démocratique. Cette fois-là, face à la force de la mobilisation populaire, le gouvernement a été obligé de négocier. »

La victoire contre la privatisation des services d’aqueducs à Cochabamba et El Alto a pavé la voie pour l’élection d’Evo Morales, en décembre 2005. Une des premières mesures du président bolivien a d’ailleurs été de créer le premier ministère de l’Eau de la Bolivie. Un geste qui exprime son engagement envers la protection de cette richesse naturelle. Evo Morales s’est par la suite attaqué à la nationalisation des secteurs-clés de l’économie bolivienne, qui avait été privatisés dans les années 1980, comme ceux du gaz, du pétrole ainsi que de la sidérurgie.

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