La justice climatique comme outil de lutte contre l’austérité… et Harper (3)

Pour une stratégie d’action commune

dimanche 1er juin 2014, par Michel LAMBERT

Un défi à notre mesure
La lutte aux changements climatiques est certes, d’après son ampleur internationale, un défi colossal pour le mouvement syndical, les Premières nations, les groupes communautaires, féministes et écologistes. Cependant, les mouvements de la société civile sont riches d’expériences où des batailles colossales ont été menées et remportées dans l’intérêt de la société dans son ensemble.

Depuis longtemps, les groupes sociaux, les travailleurs et les travailleuses ont su voir grand et ont su axer leurs énergies sur les grandes tendances idéologiques et les puissants lobbies qui mettent en péril le progrès social. Nous avons toujours été aux premières lignes de luttes telles celles pour des retraites décentes, pour un système d’assurance-emploi bénéficiant à tous et toutes, pour le droit à un salaire décent, pour un système de santé universel, pour une éducation accessible et pour des politiques sociales qui améliorent la condition de toute la collectivité.

La bataille qui s’amorce n’est pas hors de portée. Le mouvement environnemental canadien est très dynamique et inspirant, mais il ne peut à lui seul porter le combat contre les changements climatiques. Un consensus est possible entre les organisations sociales, communautaires et syndicales. Les renforts des travailleuses, des travailleurs, des étudiantes et étudiants, de la population autochtone, de citoyennes et citoyens de tous les secteurs de la population au Canada sont nécessaires au nom de la sécurité économique et celle des générations futures.

En raison de son enracinement institutionnel, de sa force et de ses expériences historiques, le mouvement syndical est un acteur clé dans cette alliance. Or, pour qu’il mette tout son poids pour faire passer la lutte aux changements climatiques en deuxième vitesse, celle-ci doit se concentrer autour de la lutte pour chasser Harper du pouvoir en 2015.

Pour une stratégie d’action commune
Pour ce faire et réinstaurer un climat de justice sociale, où le bien commun reprend le haut du pavé face à l’ impératif de croissance débridée, nécessite une convergence sans précédent des mouvements sociaux, des mouvements syndical, écologiste, de femmes, des Premières nations, étudiant, communautaire. Une stratégie d’action commune doit être élaborée.

D’abord, nous devrons reconnaitre explicitement l’impératif de la lutte aux changements climatiques comme priorité stratégique à court terme. Ensuite, nous devrons nous entendre sur un programme climatique de base, pour au moins parler de la même chose lorsque nous parlons de la lutte aux changements climatiques.

Par exemple, il faudra réitérer l’objectif de 2°C comme limite sécuritaire à ne pas dépasser. Il faudra par ailleurs refuser la rhétorique du gouvernement Harper et des pollueurs selon laquelle nous ne devrions rien faire parce que les émissions du Canada sont supposément marginales par rapport au reste du monde. Bien entendu, nos émissions sont marginales, mais notre population l’est aussi. Prises dans une perspective par habitant-e, les émissions du Canada sont de 15 tonnes d’équivalent-CO2 par personne par année d’après les données de la Banque mondiale, contre une moyenne mondiale de 5 tonnes. Comme les autres pays développés, nos émissions dépassent de plusieurs fois la moyenne mondiale. Un consensus devrait donc inclure la reconnaissance du principe de responsabilité partagée selon le poids démographique.

Pour se fixer des cibles de réduction claires, les données sur le budget carbone global rendues disponibles par le GIEC, soit la quantité maximale de GES que l’on peut émettre dans l’atmosphère au 21e siècle, pourraient servir de jalon. Cela implique des réductions substantielles et drastiques à commencer dès maintenant pour remplir nos responsabilités dans la lutte aux changements climatiques.

Dans ce contexte, il est inconcevable que la production de sables bitumineux puisse se poursuivre. Les émissions des sables bitumineux sont en augmentation fulgurante et annulent les efforts faits dans d’autres secteurs et régions du pays. Il s’agit donc d’adopter une position ferme contre l’expansion des sables bitumineux et pour l’adoption de standards stricts de réduction d’émissions.

Bien entendu, les travailleuses et les travailleurs qui œuvrent dans ce secteur ne doivent pas être laissés à l’abandon. Un plan d’accompagnement de l’État pour favoriser la reprise en main et la reconversion des industries est nécessaire. Une offre de formation doit être définie pour leur permettre d’occuper rapidement un nouvel emploi à la hauteur de leurs qualifications et de leurs ambitions.

Coordonner la mobilisation
Au-delà du Forum social des peuples, il faudra que ce message se répercute à travers nos organisations dans les pratiques quotidiennes, afin que la lutte aux changements climatiques en vienne à faire partie des objectifs fondamentaux des organisations syndicales. Des séances de formation et de réflexion seront nécessaires pour vulgariser la réalité climatique et les moyens de relever le défi des changements climatiques.

D’autre part, il sera crucial que le mouvement syndical se coordonne avec les autres mouvements actifs dans la lutte aux changements climatiques. Lorsque des initiatives seront mises de l’avant par le mouvement écologiste ou les Premières nations, les syndicats devront répondre « présents », et vice versa. Une mobilisation coordonnée est la clé pour montrer la force du nombre. Il faut prouver hors de tout doute que le mouvement est bien vivant et que nous sommes déterminées à atteindre nos objectifs.

Nous avons eu une brillante démonstration de ce à quoi peut ressembler une coordination à la grandeur du Canada avec la Journée nationale d’action pour défendre le climat du 16 novembre 2013. À cette occasion, pas moins de 130 actions locales ont eu lieu contre les sables bitumineux et en faveur d’engagements climatiques fermes par le gouvernement fédéral. Des canaux de communication devraient donc être établis et maintenus de façon régulière pour savoir où en est la mobilisation et prévoir les évènements à venir.

La lutte aux changements climatiques est une lutte qui doit devenir névralgique non pas dans un objectif stratégique de court terme, mais devra faire partie intégrante de la pratique des mouvements de la société civile jusqu’à ce que les changements climatiques soient un problème du passé.

Adopter la lutte aux changements climatiques comme pierre angulaire d’une stratégie contre Harper ne peut que paver la voie à un avenir où les gouvernements qui choisiraient de défendre une vision étriquée de l’action publique, de la citoyenneté et de la démocratie, et qui tenteraient de faire primer les intérêts corporatifs sur le bien commun, seraient évincés du pouvoir et maintenus à l’écart.

Bien sûr, cette lutte ne sera pas chose aisée. Après tout, elle vise le cœur de le bête : le libre-marché, la dérèglementation, le néolibéralisme, l’extractivisme. De puissants lobbys et des groupes d’intérêt se dresseront devant nous. Mais cette stratégie est le chemin le plus direct vers le retour de la justice sociale et du respect de la nature comme valeurs phares du débat public. Il n’en tient qu’à nous de nous y engager.
LIRE LA PREMIÈRE PARTIE : Harper et le péril climatique
LIRE LA DEUXIÈME PARTIE : Le programme climatique est un programme progressiste


Alternatives participe à l’organisation de la rencontre préparatoire de l’Assemblée des mouvements sociaux sur les changements climatiques (RSVP) le 6 juin prochain à Montréal.


Michel Lambert signe le document présenté en trois parties comme directeur général d’Alternatives. La réflexion contenue dans ce document est notamment le résultat d’échanges non seulement au conseil d’administration d’Alternatives, mais aussi avec des partenaires. Le texte est soumis comme document de réflexion à l’Assemblée des mouvements sociaux sur les changements climatiques et à l’Assemblée de convergence des mouvements sociaux du Forum social des peuples d’aout 2014.

À propos de Michel LAMBERT

Co-fondateur en 1994 puis Directeur général d’Alternatives entre 2007 et 2020, Michel Lambert fut Président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale de 2017 à 2020. Il a travaillé au rapprochement des groupes et organisations de la société civile, d’ici et d’ailleurs pour la promotion des principes de la démocratie, de l’égalité et de l’équité pour tous.

Il a tour à tour développé plusieurs des programmes de solidarité internationale d’Alternatives en plus de lancer et animer de multiples campagnes de justice sociale au Québec et au Canada. Il a dirigé l’antenne d’Alternatives en République démocratique du Congo entre 2002 et 2005 avant de prendre la direction de l’organisation en 2007.

Michel Lambert fut membre du Conseil de Gouvernance d’Alternatives International , du Conseil d’administration d’Alliance syndicats et tiers-monde. Il a aussi été membre des Conseils de l’AQOCI entre 2009 et 2013, de l’Association pour le progrès des communications (APC) entre 2008 et 2011 puis entre 2017 et 2020 et de Food Secure Canada entre 2009 et 2012

Il a représenté Alternatives au Conseil International du Forum social mondial et au sein de diverses coalitions québécoises et canadiennes dont notamment, les coalitions Pas de démocratie sans voix, Voices/voix. le Réseau québécois de l’intégration continentale - RQIC et plus récemment au comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique .

Michel Lambert a joué un important rôle de mobilisation et de construction lors du Forum social des peuples tenu à Ottawa en août 2014 .

En 2018, il confondait Cultiver Montréal, le réseau des agricultures montréalaises.

En 2020, il a contribué à la création du FISIQ, le Fonds d’investissement solidaire international du Québec.

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