«Pour une rébellion démocratique en Europe», tel est le titre de la déclaration adoptée par la conférence Plan B pour l’Europe, tenue à Madrid du 19 au 21 février dernier.
Des centaines de participantes et participants issus des mouvements sociaux et des partis de gauche anti-austérité européens se sont réunis pour tirer des leçons de l’échec de Syriza à l’été 2015, ont conclu à l’importance de lancer un mouvement de désobéissance civile contre les institutions européennes et leurs diktats autoritaires, pour que ne se répète plus le «coup d’état» économique perpétré, l’été dernier, contre le peuple grec [1].
Cette conférence est un pas en avant vers le rassemblement des mouvements européens autour d’une stratégie commune après le choc de la défaite subie par Syriza. On y retrouve des têtes d’affiche comme Yanis Varoufakis, ancien ministre des finances dans le gouvernement Syriza, et Zoé Konstantopoulo , ancienne présidente du parlement grec, ainsi que des parlementaires provenant des partis de la gauche radicale d’Espagne (Podemos) et d’Allemagne (Die Linke), et, bien sûr, des figures très connues de la gauche sociale comme Susan George ou Éric Toussaint.
D’ores et déjà, des conférences du même type sont prévues en Italie et en Allemagne au courant des prochains mois
Une année tumultueuse pour la gauche anti-austérité
L’année 2015 s’est avérée fort tumultueuse pour la gauche radicale européenne. Après l’enthousiasme déclenchée par la victoire électorale de Syriza en janvier 2015 et son succès au réferendum du 5 juillet, la consternation s’est répandue suite à la capitulation du gouvernement grec devant le chantage économique et financier des institutions européennes. L’accord du premier ministre Tsipras à une politique d’austérité encore plus rigoureuse que les précédentes semblait sonner le glas des tentatives populaires de renverser l’austérité.
Toutefois, déjà vers la fin de l’année, des signes plus encourageants se manifestaient: le Bloc de gauche au Portugal et puis Podemos en Espagne atteignaient des scores électoraux leur permettant de détenir la balance du pouvoir dans leurs parlements respectifs et donc de chasser du gouvernement les partis de droite pro-austérité. Ces succès relatifs, car au Portugal le Bloc de gauche appuie de l’extérieur un gouvernement social-démocrate qui est loin d’être ferme sur ses engagements alors qu’en Espagne, les pourparlers pour former un gouvernement anti-austérité sont au point mort, ont néanmoins redonner du tonus à la gauche radicale en Europe.
Pourquoi un « Plan B » ?
Mais la question lancinante posée par l’expérience malheureuse de Syriza demeure entière: que faire si les grandes puissances européennes, appuyées par la Banque centrale européenne (BCE) et tout un arsenal de traités limitant la souveraineté nationale, décident de saboter l’économie, asphyxier les banques et acculer la population à la misère? Le « Plan A », qui est de gagner les élections nationales avec un programme anti-austérité validé et appuyé par la population, s’avère inopérant devant un refus clairement exprimé par les institutions et les puissances européennes de respecter les règles démocratiques et la souveraineté parlementaire.
C’est là qu’intervient le « Plan B ». Il s’agit d’un plan alternatif, développé d’abord par l’aile gauche de Syriza, et qui comprend le refus de rembourser la dette, la nationalisation des banques locales, et l’établissement d’une monnaie nationale de rechange à l’euro. Cette idée d’élaborer un « Plan B » et de l’appliquer est reprise par la gauche radicale européenne. Elle appelle à désobéir aux institutions européennes campées sur leurs politiques anti-austérité draconiennes et à développer un large mouvement social capable de mettre fin aux tentatives d’étouffer des politiques anti-austéritaires nationales.
Des différences sur la question de l’Europe
Tout en étant uni sur une perspective de rassembler les mouvements sociaux et politiques dans un large front anti-austérité, des divergences s’expriment sur la question de l’Europe. D’un côté, on retrouve Yannis Varoufakis et son mouvement DiEM25, qui appelle à démocratiser les institutions de l’Union européenne d’ici 2025 sous peine d’un éclatement qui pourrait infliger de terribles épreuves au monde entier. De l’autre, des personnalités telles que Zoé Konstantopoulo et Éric Toussaint pensent plutôt que les institutions européennes actuelles sont irréformables et que la désobéissance civile doit aller jusqu’à la sortie de l’Europe, si nécessaire.
Eric Toussaint affirme notamment qu’à la lumière de l’expérience grecque, les partis de gauche radicale devraient mener leur campagnes électorales en déclarant publiquement qu’il et inacceptable que l’Europe impose l’équilibre budgétaire à un peuple qui décide souverainement de mettre fin à l’austérité [2].
En bref, si un consensus se dégage au sein de la gauche radicale européenne sur le besoin d’élaborer un Plan A et un Plan B, le contenu et la finalité du Plan B sont en débat.
Les débats continuent
Bien que ces divergences s’expriment ouvertement dans les conférences internationales et même au sein des partis anti-austérité, tous les acteurs de ce débat sont unanimes à vouloir le continuer dans un esprit d’ouverture et d’échanges amicaux. Toutes et tous sont conscients que non seulement la gauche radicale doit réajuster sa stratégie européenne pour tenir compte de la nouvelle situation créée sur le terrain, mais que ces débats doivent inclure les mouvements sociaux anti-austérité et, surtout, avoir un écho populaire.
Ces débats ont une grande pertinence pour nous au Québec. La mutation ouvertement anti-démocratique du capitalisme néolibéral nous touche aussi. N’oublions pas que le gouvernement Couillard applique une politique anti-austérité draconienne depuis 2014 sans en avoir le mandat. Il a même fait campagne en promettant le contraire.
Du coup, nous devons aussi nous doter d’une stratégie alternative de mobilisation populaire et démocratique pour combattre l’austérité. Comme le démontre l’Europe, au Plan A, battre électoralement les partis néo-libéraux, doit impérativement se greffer un Plan B de mobilisation sociale.