La femme au cinéma est née de la projection d’idéaux proprement masculins. Qu’elle soit fatale, mystérieuse, ingénue ou maternelle, elle épousait les désirs du réalisateur qui la filmait. Derrière sa lentille, il mettait en image sa vision rêvée de la femme et influençait par ce fait même son comportement social, son rapport avec elle-même et avec les hommes.
Du mouvement féministe des années 1970 et 1980 est née une solidarité entre réalisatrices. Elles cherchent alors à s’émanciper de l’idéal féminin de l’époque et à amener un autre point de vue au cinéma. Elles deviennent alors camerawoman et dévoilent des images construites par des femmes. Cependant, malgré les avancées phénoménales que les femmes ont faites, elles demeurent minoritaires en réalisation et elles réclament donc une plus grande place dans le milieu cinématographique.
Naissance de Réalisatrices Equitables
En janvier 2007, confrontées au manque de financement et accompagnées d’un sentiment de frustration face aux idéaux d’un féminisme qu’elles considèrent inachevé, une vingtaine de réalisatrices québécoises se réunissent et créent le groupe Réalisatrices Équitables afin de revendiquer l’équité dans le domaine de la réalisation au Québec, autant au cinéma qu’à la télévision.
Une des premières actions de Réalisatrices Équitables a été de commander l’étude La Place des réalisatrices dans le financement public du cinéma et de la télévision au Québec.
Cette étude révèle entre autres que seulement 15 % des projets de longs métrages déposés à Téléfilm Canada entre 2002 et 2007 étaient réalisés par des femmes. Or, le pourcentage de femmes diplômées en cinéma dans les principales institutions d’enseignement au Québec est beaucoup plus élevé : près de la moitié des diplômés sont des femmes. Comment se fait-il alors qu’il y ait aussi peu de projets présentés avec des femmes à la réalisation ?
Selon Isabelle Hayeur, réalisatrice, le rapport qu’entretiennent les réalisatrices avec les producteurs peut nuire au nombre de projets soumis avec une femme à la réalisation. En effet, les réalisatrices doivent soumettre leur projet à un producteur et à un distributeur avant qu’une demande de subvention ne soit faite. C’est donc aux producteurs, et non aux réalisatrices elles-mêmes, de faire une demande de subvention auprès des institutions culturelles dans le domaine audiovisuel. Devrait-on faire pression sur les producteurs afin qu’ils acceptent plus de projets féminins pour ainsi augmenter le taux de succès des femmes dans ce métier ?
D’autres sont d’avis que ce serait plutôt la recherche incessante de succès au box-office qui empêche l’émergence de films mettant en scène l’imaginaire des femmes. Selon la réalisatrice Ève Lamont, « les femmes amènent un point de vue plus humaniste, c’est ennuyant pour les bailleurs de fond ». Sur ce, Isabelle Hayeur renchérit : « Les femmes vont avoir une vision plus sensible, elles vont écrire et faire une narration autrement. Elles veulent casser les patterns, les standards de la scénarisation. »
Or, les femmes autant que les hommes contribuent au succès des films au box-office en tant que public. Dans un tel cas, est-ce que les femmes devraient encourager davantage les « films de femmes » ?
Afin d’atteindre des mesures concrètes d’équité et d’augmenter leur taux de succès, Réalisatrices Équitables demande que les institutions dans le secteur audiovisuel intègrent les principes d’équité dans leur mandat et que tous les organismes responsables du financement, de la production et de la diffusion, introduisent des mesures concrètes afin de renverser la tendance actuelle qui est défavorable aux réalisatrices.
Monique Simard, directrice du programme français à l’Office national du film, affirme avoir pris connaissance de l’étude menée par Réalisatrices Équitables. Elle leur suggère de mener une étude à long terme sur le parcours des étudiantes inscrites dans les programmes de cinéma afin de mieux comprendre leur cheminement universitaire et leur réalité une fois sur le marché du travail. Elle croit que « pour pouvoir corriger un problème systémique, il faut comprendre tous les obstacles systémiques ».
Il demeure difficile d’expliquer l’écart entre le pourcentage d’étudiantes en cinéma et le faible pourcentage de projets déposés avec une réalisatrice, mis à part le fait que le rôle de réalisateur fût initialement attribué aux hommes. En ce sens, une seconde étude pourrait être bénéfique afin de repérer ces « obstacles systémiques ».
Malgré les barrières, qu’est-ce qui motive les femmes à poursuivre dans le domaine de la réalisation cinématographique ? Selon Isabelle Hayeur, « le langage en images c’est le langage de l’avenir. Les femmes ne peuvent être privées de ce moyen de communication ». Malgré les progrès, les femmes doivent continuer à faire pression afin que leur imaginaire visuel et narratif soit considéré comme une nécessité et non plus comme une rareté.