Essai

Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres

samedi 17 janvier 2004, par Gilles MCMILLAN

La décolonisation devait engendrer un homme nouveau, maître de son devenir. Toutefois, constate Memmi, des potentats à la solde des nantis sont au pouvoir dans la plupart de ces pays, produisant corruption et pauvreté. Habiles dissimulateurs, ils persuadent leur peuple que les responsables d’une telle iniquité sont extérieurs à leur propre régime. L’intégrisme et les particularismes culturels prolifèrent au gré de cette mystification, nourris de ressentiment contre l’Occident, la démocratie, la laïcité et l’émancipation des femmes.

Le Maghrébin sert de modèle au portrait de Memmi. Parce que c’est celui que l’auteur connaît le mieux, étant né dans le ghetto juif de Tunis en 1920, et à cause des nombreux enjeux que sa situation comporte. Le portrait forme un triptyque : ce nouveau citoyen étouffant dans son pays natal ; l’immigré dans la métropole pourtant honnie - qui a besoin de lui, mais lui fera comprendre le contraire ; puis le fils de l’immigré, incompris du père, lui reprochant de n’avoir en héritage que le ghetto et le sous-prolétariat.

Comment sortir de cette impasse où ex-colonisé et ex-colonisateur se regardent en chiens de faïence tout en niant les liens de réciprocité ? Des hypothèses viennent à la fin de l’essai, des vœux. La dénonciation de la corruption et du rôle qu’y joue l’Occident est certes essentielle pour que les peuples concernés puissent retrouver les outils de leur développement. Toutefois, cette conquête passe par la séparation du politique et du religieux, et par l’abandon des mythes de réparation ethnique. Elle exige aussi la laïcité et la recherche de dénominateurs communs entre les hommes.

Cet essai de Memmi, prolongement du Portrait du colonisé (1957) et de sa réflexion sur les rapports de domination et de dépendance entre les hommes, se veut un constat davantage qu’un pamphlet. Néanmoins, l’ouvrage suscitera débats et controverses, notamment pour son point de vue sur le conflit israélo-palestinien, qui dépasse l’analyse manichéenne : « Le malheur des Arabes, écrit-il, ne vient évidemment pas de l’existence d’Israël. » Mais attention aux conclusions rapides. Pour Memmi, la domination d’un peuple par un autre est toujours indéfendable.


Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres
Albert Memmi
Paris, Gallimard, 2004, 168 pages.

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