Poly : réingénierie masculine

jeudi 26 février 2009, par Francis Dupuis-Déri

Le génie masculin, c’est de tout ramener à soi. Nos joies sont les plus importantes, nos malheurs les plus profonds. J’étudiais en science politique à l’Université de Montréal en décembre 1989. Dans les jours suivant la tuerie, j’ai entendu des mâles camarades se lamenter : « À cause des féministes qui ont récupéré la tuerie, on ne peut plus cruiser dans les bars ; les filles nous regardent avec méfiance. » Dur d’être un gars...

Pourquoi alors s’étonner qu’à la sortie du film Polytechnique, des journalistes et des internautes agitent comme des épouvantails quelques citations de l’époque pour montrer toute la violence que les hommes ont vécu de la part des féministes. Ce rappel nous en dit plus sur les hommes que sur les féministes d’alors. Quatorze femmes venaient d’être tuées parce qu’elles étaient des femmes. Que voulaient les hommes  ? Qu’il n’y ait ni larmes, ni cris de colère et que les femmes nous prennent dans leurs bras et nous rassurent : « Tu sais, j’aime les hommes, vous êtes bons, vous êtes beaux, vous êtes fins. » Alors que les femmes auraient pu lancer une émeute...

Et puis, ce mot : « récupération ». Comme un péché, une pathologie. Personne ne parle plus, pourtant, de l’Église qui a organisé à la cathédrale Notre-Dame de Montréal une cérémonie religieuse pour 13 des 14 femmes assassinées. L’animateur Pierre Bourgeault avait alors dénoncé cette récupération sur les ondes de Radio-Canada, ce qui entraîna son licenciement dès le lendemain. En 1995, des soldats du régiment aéroporté de Petawawa ont exécuté un salut militaire à la mémoire de Marc Lépine. Qui rappelle cette récupération aujourd’hui ? Sur les lignes ouvertes dans les heures après le massacre, des hommes se sont réappropriés le geste de Lépine pour dire qu’ils le comprenaient, ou qu’ils aimeraient l’imiter, et régulièrement depuis, des criminels s’identifiant comme «  Marc Lépine II » ou la « réincarnation de Marc Lépine », professent des menaces de mort envers des femmes, des féministes et des intervenants des services sociaux. Qui déplore cette récupération  ?

La tuerie n’a pas été récupérée par les féministes. Elle s’est imposée à elles, les a éclaboussées. Les féministes n’ont fait que reconnaître son sens véritable (avant même la publication de la lettre de l’assassin). Heureusement, la Ville de Montréal est plus respectueuse de notre sensibilité (susceptibilité  ?) d’hommes. Sur le panneau identifiant la Place du 6-décembre-1989, on peut lire : « En mémoire de l’événement tragique survenu à l’École polytechnique afin de promouvoir les valeurs de respect et de non-violence. » On n’y mentionne ni femmes, ni hommes, ni violence contre les femmes. Mes mâles camarades doivent être contents.

La réaction au film Polytechnique me rappelle celle concernant Mourir à Tue-Tête (1979), un film d’Anne-Claire Poirier qui relate l’histoire d’une femme violée. Ce film est souvent mentionné dans les livres de masculinistes, comme dans ceux du psychologue Yvon Dallaire. Ils lui reprochent de présenter une mauvaise image de l’homme. Marqué « de préjugés antihommes », ce film aurait selon Dallaire le mauvais goût de présenter le viol «  non pas comme un acte sexuel violent, mais comme l’expression du pouvoir de l’homme sur la femme  ». En bref, ce film serait une récupération par une réalisatrice féministe du viol des femmes, pour critiquer les hommes. La vilaine ! Dallaire et les autres ne discutent pas de tous ces films qui représentent des viols ou des coïts « normaux », un peu brusques, à la va-vite, et ces claques sur la gueule assenées à des femmes qui parlent trop. Ces scènes stéréotypées ne causent aucun trouble aux mâles si sensibles qui nous entourent, puisque le comportement de l’homme n’y est pas problématisé. Au contraire, l’homme est un héros. C’est toujours mieux pour nous qu’un film qui montre qu’un violeur est un homme qui exerce un pouvoir sur une femme. Ça, c’est trop dur à prendre pour un mâle, même psychologue... Alors, imaginez Polytechnique ! Mesdames : vos critiques nous tuent, contentez-vous de nous aimer... et en silence, s’il vous plaît.

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