Plan "Nerd" réclamé pour le Québec

dimanche 1er avril 2012, par Bénédicte Filippi

« Il est temps de créer, partager, communiquer, s’ouvrir », déclarait le député du Parti libéral québécois, Henri-François Gautrin, dans le cadre de la onzième édition de la conférence Webcom, qui se déroulait en novembre dernier. L’affirmation de M.Gautrin interpelait directement la fonction publique québécoise. Dans un contexte où « faire de la politique autrement » devient leitmotiv, l’initiative de gouvernement ouvert présentée par l’élu a de quoi séduire. Certains analystes avancent même qu’une véritable révolution culturelle pourrait se mettre en branle si l’idée était adoptée par la classe politique.

Un mouvement généralisé

Projet avant-gardiste, donc ? Pas pour autant. Le projet du député Gautrin s’inscrit dans une tendance des gouvernements occidentaux de s’ouvrir à leur population en libérant leurs données publiques et en adaptant leurs communications. Le courant communément désigné sous les termes open Gouv et open data a ainsi gagné au cours des cinq dernières années les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la France. Partout dans ces pays, les administrations s’efforcent de rendre accessibles des données publiques aux citoyens. Pour l’élu de Verdun, le temps est venu pour le Québec de se mettre à la page. « Il faut un espace où le citoyen produit, échange, utilise l’information en interagissant avec l’État à l’aide d’outils du Web 2.0 comme les médias sociaux, les blogues, les wikis », insiste-t-il.

Cerner la bête

M. Gautrin veut ainsi mettre de l’avant une nouvelle conception de l’appareil étatique. Dépassée la vision traditionnelle de l’État comme entité gérant des citoyens, l’État est dorénavant perçu comme regroupement de citoyens. Ce changement de vision suppose une transformation organisationnelle et communicationnelle. Le modèle actuel fondé sur l’accès à l’information à la demande, à travers la Loi sur l’accès à l’information, évoluerait vers un modèle où l’information serait disponible systémiquement et où la confidentialité seule doit être justifiée.

Un triangle vertueux

C’est le développement des technologies de l’information qui crée cette opportunité pour le gouvernement de transformer sa manière de diriger. En favorisant l’émergence d’un gouvernement ouvert, trois valeurs sont mises de l’avant. D’abord, la transparence.

En libérant les données, le gouvernement souhaite améliorer l’accès à l’information. Cette vertu malmenée dans les dossiers relatifs à l’industrie de la construction, à l’exploitation du gaz de schiste et au Plan Nord, entre autres, peut s’affermir avec l’instauration de nouvelles pratiques gouvernementales. En faisant davantage preuve de transparence, « les gouvernements peuvent permettre aux citoyens de suivre plus facilement la réalisation des mandats autant que le pilotage des actions pour les réaliser », confirme Mario Asselin, directeur général d’Opposum, entreprise spécialisée dans l’apprentissage des technologies de l’information.

La participation est une autre valeur clé contenue du chantier numérique du député Gautrin. « Il faut stimuler l’implication citoyenne et favoriser l’innovation et la créativité », assure-t-il. Pour Sylvain Carle , instigateur du premier Gouv camp au Québec, grande conversation autour des enjeux numériques, un changement de mentalité doit s’opérer. « La question à se poser est celle du rôle du citoyen envers le gouvernement dans la gouvernance », estime-t-il.

Du côté de Henri-François Gautrin, il n’y a pas de doute, « les citoyens veulent débattre des grands sujets, faire valoir leur point de vue, être en mesure de contribuer à l’acte de décision globale. Ils pourront le faire davantage avec l’ouverture des banques de données. »

Dominique Cardon, sociologue des nouvelles technologies de l’information, est du même avis. La libération des données permettra « un dialogue plus symétrique, plus riche entre les gouvernants et les citoyens », considère-t-il. Selon lui, la culture démocratique est en pleine évolution. « Avec l’open data, le gouvernement est moins paternaliste. Il fait confiance au citoyen en lui donnant accès aux données, en coproduisant la décision publique, en le laissant se saisir de toutes sortes d’informations ».

La valeur de collaboration achève le triangle vertueux accompli par un gouvernement ouvert. Si le travail en silo dans la fonction publique est la norme, la synergie entre différents ministères et organismes gouvernementaux est encouragée avec l’approche plus dynamique et flexible de l’Open Gouv.

Une nouvelle mine d’or ?

Au-delà de la valeur démocratique des données ouvertes, l’innovation et le développement économique qu’elles peuvent induire sont des atouts dans la manche du député Gautrin. Plusieurs développeurs jubilent face à la mise en ligne de banques de données ouvertes. À Montréal, l’entreprise Nord ouvert, dans un souci de renforcement démocratique, crée de nouveaux outils pour améliorer la consultation publique et la prise de décision collective. Dans cet esprit, ils ont conçu BudgetPlateau.com, un site web où les citoyens sont invités à simuler et à équilibrer un budget municipal. Il est également possible avec le site et l’application Patiner Montréal de vérifier l’état des patinoires sur l’île.

Toutefois, le gouvernement tarde à mettre en place un cadre législatif soutenant réellement l’émergence d’une économie numérique. Aussi, malgré la multiplication des applications à l’échelle municipale, le secteur numérique n’est pas développé à sa pleine mesure.

À l’inverse, de l’autre côté de l’Atlantique, le potentiel économique que recèlent les données ouvertes est mis en valeur. Il a même fait l’objet du projet « Data is the new gold » de la Commissaire européenne à la Stratégie numérique, Neelie Kroes, qui estime à 40 milliards d’euros par année les retombées économiques liées à la mise en ligne des banques de données par les administrations de l’Union européenne.

L’ombre au tableau

Face à l’éventail de ces mérites, comment expliquer la timidité du gouvernement québécois à entreprendre le virage numérique ?

Marie Grégoire, ex-députée de l’Action démocratique du Québec (ADQ), a peut-être une piste de réponse. « On est dans un système de représentation, rappelle-t-elle. À un moment donné, il faut aussi laisser gouverner les gens. » Les citoyens québécois vivent en effet au sein d’une démocratie représentative. Ils délèguent ainsi aux représentants qu’ils élisent le droit d’exercer le pouvoir en leur nom.

Le mouvement de l’open gouv défie cette conception et brise le monopole informationnel du gouvernement. De diffuseur d’information, l’État devient partenaire d’information. « L’open data, c’est faire le pari de la confiance vis-à-vis des citoyens », soutient Dominique Cardon. Ce pari, le gouvernement semble encore frileux à le prendre.

Paradoxalement, le principe de gouvernement ouvert prête le flanc à une critique quant à son accessibilité. Si Sylvain Carle et Dominique Cardon s’accordent pour dire que la participation est une pierre d’assise de leur mouvement, comment faire en sorte qu’elle soit inclusive ? De fait, une fracture numérique existe au Québec. Même si l’utilisation d’Internet est en forte progression, l’utilisation des médias sociaux n’est pas aussi généralisée.

Si le gouvernement se lance dans un type de communication soutenue par des outils 2.0, une large frange de la population sera marginalisée. Les statistiques de NET Tendances en attestent : 40 % des individus âgés de 55 à 64 ans utilisent les médias sociaux, alors que le taux chute à 17 % pour les personnes qui ont au-delà de 65 ans. Cet écueil, le député Gautrin en est conscient et en fait une préoccupation majeure. « Ce qu’on essaie de faire n’est pas un projet technologique, mais bien politique », assure-t-il.

Encore faut-il que l’enjeu soit à l’ordre du jour. Pour l’instant, la volonté du pouvoir libéral de se saisir du dossier est assez molle. Henri-François Gautrin devait dévoiler son rapport « Gouverner autrement » en décembre dernier. L’ouvrage contient une série de recommandations mettant en lumière les actions à entreprendre pour devenir un gouvernement ouvert.

Curieusement, le premier ministre Jean Charest a demandé à son député de tenir le rapport secret. Or, comme M. Gautrin le soulignait dans son intervention à la conférence Webcom de novembre dernier, « un tel projet ne peut avoir d’influence que s’il est porté par la plus haute autorité gouvernementale, le premier ministre. »

La révolution est en veilleuse.


Crédits image : okfn/Flikr

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