Photographier l’Histoire

vendredi 26 septembre 2003, par Daphnée DION-VIENS

Reconnu pour ses reportages de guerre mais aussi pour ses albums et expositions, le photographe français Luc Delahaye navigue continuellement entre art et information. Sa dernière exposition, History, présentée à Montréal dans le cadre du Mois de la photo, propose un regard différent sur quelques points chauds du globe.

La ville disloquée de Jénine, après l’incursion de l’armée israélienne. Un voyage de presse à Bagdad. Ground Zero, un an après le 11 septembre. Avec un style documentaire qui lui est propre, le photographe veut rendre compte le plus librement possible des événements dont il a été témoin. « J’essaie de photographier sans contraintes, sans tabous, et d’enregistrer le monde et sa complexité », explique Luc Delahaye au cours d’un entretien téléphonique depuis son studio de Paris.

C’est justement pour se libérer de certaines contraintes qu’il décide de laisser de côté les pages des magazines pour explorer le style documentaire, le temps d’une exposition. Membre de l’Agence Magnum, rattaché au magazine américain Newsweek et gagnant de plusieurs prix, dont trois World Press, il pose un regard très critique sur le photojournalisme : « La presse exerce un nombre de contraintes, conscientes ou inconscientes, sur les photographes qui modifient leur façon de faire. Ces photos font souvent l’objet d’une simplification, l’approche peut être sensationnaliste, on privilégie des symboles facilement identifiables… » Il rappelle que la contrainte d’espace est aussi omniprésente, les photographies étant nécessairement réduites au petit format des pages de magazines. « La réduction du sujet qui est opérée impose aussi au photographe de montrer un nombre réduit d’éléments, ce qui écarte la complexité de la réalité. »

Avec cette exposition, il a voulu utiliser le grand format et l’appareil panoramique pour présenter les éléments dans son contexte et sa globalité. « Le format panoramique permet de conserver ce qui est habituellement hors champ dans la presse. Ce contexte est justement ce qui permet de comprendre la scène, de montrer une réalité dans son emsemble. » Lors du procès de Milosevic, par exemple, il n’a eu que 20 secondes pour prendre sa photo. « Les photographes d’AFP et de Reuters ont opté pour le portrait en buste. Moi, je montre la moitié de la salle, l’accusé, trois gardiens, la place vide de l’avocat, le greffier. […] Le grand format permet au spectateur de s’approcher, de voir des détails, de porter un jugement dans une relation égalitaire. »

Poésie du chaos et du désordre

Interrogé sur un parcours qui l’a mené aux quatre coins de la planète, il affirme d’emblée que la guerre l’attire. « C’est la poésie du chaos et du désordre. Et il y a aussi un niveau de qualité qui est préservé dans la guerre. Il y a plus d’humanité que dans la normalité. Les relations entre les personnes sont dépouillées du superflu, elles sont plus élémentaires. Les gens sont préoccupés par leur survie, par des choses essentielles, ce qui rend l’homme plus humain et j’aime partager avec les gens ces moments-là. »

Il a couvert plusieurs conflits. Le Liban dans les années 80, la Yougoslavie, le génocide du Rwanda, la Tchétchénie et, plus récemment, la situation dans les Territoires occupés. Mais ses différents projets l’ont aussi amené à témoigner de l’errance et du désœuvrement de la jeunesse russe, au cœur de l’hiver sibérien, et à faire des portraits d’usagers du métro de Paris. Le projet sur lequel il travaille présentement consiste à mettre en image des scènes de quartiers de la ville de Toulouse, où il est allé frapper aux portes pour « scruter des paysages intimes, chercher ce qui subsiste des années d’utopie, lorsque cette cité a été construite ».

Même s’il porte un regard sévère sur le rôle social de la photographie, il croit que les images peuvent avoir un impact, même minime, sur les gens. « La photographie journalistique contribue souvent au confort moral. Au lieu de déranger les gens, quand on regarde des images de presse, on se dit que c’est déjà quelque chose d’avoir pris la peine de les regarder. Ça peut servir à donner bonne conscience, affirme Luc Delahaye. Mais dans certains cas, lorsque le photographe est vraiment un témoin privilégié d’un moment authentique, les images peuvent servir à alarmer et à faire prendre conscience. Et c’est déjà ça de gagner. »

Daphnée Dion-Viens, coordonnatrice et rédactrice, journal Alternatives


L’exposition History est présentée au Quartier éphémère, 745 Ottawa à Montréal, jusqu’au 12 octobre. Information : (514) 392-1554.

À propos de Daphnée DION-VIENS

Assistante à la rédaction, Journal Alternatives

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Cet article est classé dans :

Partagez cet article sur :

  •    
Articles de la même rubrique

Volume 10 - No. 02

La Syrie dans l’ombre de l’Irak

Articles du même auteur

Daphnée DION-VIENS

Mainmise sur les services

Articles sur le même sujet

Culture

Slaxx ​— un film délirant et macabre, tout comme la fast fashion

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca