Le printemps marocain est enfin arrivé et le soleil est bon. Pourtant, cette sortie de l’hiver, qui fut le plus froid des 30 dernières années, se vit dans la morosité. Depuis près d’un mois, la vie en pays musulman bat à coups de questionnements et d’incompréhension. Lors du matin du 20 mars, dans les heures suivant les premières frappes sur l’Irak, les habitants de Rabat, généralement gais et insouciants, s’étaient transformés en fantômes. Les mines souriantes avaient laissé place à des visages blêmes, aux yeux rougis d’avoir passé la nuit devant leur téléviseur. Tant de questions, si peu de réponses…
Certes, le Maroc est ébranlé. Les cafés d’Errachidia - petite ville du sud-est - disposant d’un petit écran affichent des terrasses et des salles biens remplies. Et silencieuses, si ce n’est de la voix du présentateur de la chaîne Al Jazeera.
Les réactions s’expriment dans la tempérance. Les gens parlent, discutent, débattent. Partout. Mais pas de vandalisme, de révoltes ou de coups de gueules violents. Le discours du roi invitant son peuple au calme ainsi que les mesures répressives observées à l’endroit de certains dissidents - l’arrestation de 14 jeunes musiciens hard rock accusés d’avoir ébranlé la foi musulmane, ou encore, l’adoption de plus en plus fréquente de mesures antiterroristes rigoureuses - y sont sûrement pour quelque chose.
Depuis deux mois, la société civile s’est activée à organiser plusieurs manifestations à travers le pays. Mais ces manifs ont attiré moins de marcheurs qu’on ne l’avait espéré. Est-ce que les réflexes de près de 40 années de répression refont surface ? La question se pose. Toutefois, Rabat a dernièrement connu son heure de gloire lorsque 250 000 Marocains ont défilé pacifiquement dans ses rues.
Le Maroc est relativement éloigné du Moyen-Orient. Situé en Afrique du Nord, le pays se perçoit davantage comme européen. Le Maroc semble en crise d’identité et, si on ressent ici un fort sentiment de solidarité avec le peuple irakien, il semble que cela n’ait rien à voir avec ce qui se vit en Égypte ou dans les pays du Golfe persique.
Et puis, à l’instar des autres pays musulmans, il y a la difficulté de sa position politique. Si la rue marocaine crie sa réprobation à l’égard de ce conflit, les dirigeants, eux, essaient tant bien que mal de ménager la chèvre et le chou. Les autorités espèrent la collaboration des Américains dans le contentieux brûlant du Sahara occidental qui oppose depuis des années le Maroc à son voisin algérien. Puis, il y a ce traité de libre-échange signé récemment avec les États-Unis. La presse marocaine a d’ailleurs vertement critiqué la poursuite des négociations entre les parties qui ont eu lieu dernièrement en Europe. Le gouvernement de Driss Jetou, premier ministre, avait imploré son interlocuteur américain de faire preuve de la plus grande discrétion possible.
Maroc, pays des mille contrastes. À la paix comme à la guerre, il semble qu’une fois de plus, le royaume assume parfaitement ses paradoxes.