Il devient de plus en plus difficile de festoyer sur la musique d’Oliver Mtukudzi. Depuis l’album Tuku Music, paru en 1998 et sur lequel ont dansé presque tous les townships d’Afrique australe, les rythmes endiablés ont laissé place à la douceur des voix et à la mélancolie de la guitare. Tuku, comme l’appelle ses fans, pourrait avoir vieilli - il fêtait ses cinquante ans l’année dernière. Le musicien du Zimbabwe pourrait s’être assagi. Mais qu’on ne se trompe pas : si on ne danse plus sur la musique de Tuku, c’est peut-être parce qu’on ne danse plus au Zimbabwe non plus.
L’album Vhunze Moto (2002) reprend sur la lignée de son dernier album Bvuma / Tolerance (2000) : pour l’artiste engagé, qui n’a cessé depuis ses débuts en 1977 de chanter les malheurs et espoirs d’une Afrique engloutie, il était impossible d’ignorer le danger des politiques désastreuses du président Mugabe. Les proverbes shona (langue parlée au nord du Zimbabwe) dont l’auteur s’inspire, appelant au respect, à la tolérance et à la dignité, prennent aujourd’hui tout leur sens dans le contexte de répression politique des dernières années. La première piste de son dernier album, Ndakuvara (I am hurt), peut difficilement ne pas s’appliquer au président : I thought the young ox would be like its elders / The young oxen has kicked me / Everything has gone upside down / The young oxen has over-powered me. Sur la suivante, rappelant cet étrange réflexe de l’aigle qui, ratant sa proie après la descente, ramassera n’importe quoi en guise de frustration, Mtukudzi chante No matter how distressed you may be / Don’t be like an eagle which grabs rubbish.
Accompagné de ses éternels musiciens, les Black Spirits, et du sud-africain Paul Hanmer au piano, les ballades chimurenga de Mtukudzi chantent la tolérance et la paix. Comme si on en n’avait plus besoin...