L’observatoire a été conçu « pour mieux comprendre le phénomène de mondialisation et établir des passerelles avec la société civile », a déclaré la ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin, responsable du projet. On ignore quelle sera la forme exacte du nouveau venu, qui peut prendre racine à Montréal comme à Québec. Louise Beaudoin consulte depuis la mi-mars les universités, organisations non gouvernementales (ONG), syndicats et patronats afin de déterminer les conditions de participation.
Adam Novak, directeur des communications de l’ONG de développement international Alternatives, croit que les travaux de l’Observatoire de la mondialisation vont ressembler au discours entre deux eaux du gouvernement québécois. Celui-ci maintiendrait depuis toujours que la mondialisation néolibérale est intéressante, que le Québec a su y tirer son épingle du jeu, mais qu’il faut plus de respect pour les citoyens. Selon Adam Novak, la position gouvernementale est trop timide : « La question n’est pas de savoir si cette initiative [l’Observatoire de la mondialisation] est de la poudre aux yeux ou si elle est réelle et sincère. Elle est réelle. La question est de savoir si ça va assez loin. »
Au Centre international de solidarité ouvrière, Albert Saucier ajoute que l’observatoire risque d’être un bel oiseau sans ailes. Selon lui, l’idée est pertinente et s’inscrit dans une suite d’actions du Parti québécois depuis 1997, mais le projet n’aura pas beaucoup d’impact parce qu’il va se buter à une légendaire division idéologique au sein du PQ. « La faction social-démocrate, avec des gens comme Jean-Pierre Charbonneau et Louise Beaudoin, a une véritable préoccupation quant aux dérapages du libre-échange, mais elle n’a pas de pouvoir », affirme-t-il.
Le rôle joué par la ministre Beaudoin au Forum social mondia (FSM) de Porto Alegre illustre bien l’impuissance typique de la social-démocratie, selon Adam Novak : « Les discours à Porto Alegre de Louise Beaudoin étaient intéressants et sympathiques, mais devenaient presque ironiques quand on se rendait compte que la ministre parlait exclusivement de diversité culturelle, au moment où on assistait à la crise socio-économique argentine et qu’on entendait dire que le Québec pouvait peut-être adopter le dollar américain. »
De son côté, Jean-Pierre Charbonneau croit toujours à la viabilité de l’option social-démocrate. Il défend que la voix démocrate péquiste, qui n’existait presque pas à certaines époques, est aujourd’hui mieux représentée. Il assure que les oppositions idéologiques à l’interne du PQ ne sont pas dues à l’orientation social-démocrate du parti, mais au fait qu’il s’agit d’une coalition de personnes diverses partageant un même but : la souveraineté. En ce qui concerne la libéralisation des marchés, il soutient que si « on ne peut éviter le processus de mondialisation, on peut le domestiquer. [Et que] pour y arriver, il faut revaloriser les institutions politiques. » Un observatoire serait à son avis un lieu d’échange et de rapprochement entre les milieux communautaires, universitaires et politiques.
Le deuxième Forum social mondial de Porto Alegre, en février dernier, a constitué un premier point de rencontre entre le gouvernement du Québec et la société civile. Un membre d’Opération SalAMI, Abdirhaman Ahmed, s’est entretenu avec la ministre Beaudoin, lors du forum. Il avoue qu’en bout de ligne, elle lui a donné le goût de participer à l’Observatoire de la mondialisation, même s’il demeure aux aguets. La ministre a surpris l’activiste, en affirmant que l’observatoire donnerait droit de parole à tous les groupes de pression, incluant Opération SalAMI, considéré par plusieurs comme un groupe à la limite de l’illégalité parce qu’il prône la désobéissance civile. L’ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, a également étonné le militant : « Il nous a carrément dit qu’il s’était peut-être trompé sur toute la ligne en ce qui concerne le libre-échange. Il a été surpris par la qualité des intervenants du FSM et veut que ces gens aient une tribune pour s’exprimer au Québec. »
La force de la diversité
Malgré tout, Abdirhaman Ahmed garde l’œil ouvert sur les politiciens. Il veut éviter que l’ensemble des organisations militantes soient identifiées à une formation politique spécifique. Selon lui, la force actuelle de la lutte contre la mondialisation des marchés réside dans la diversité des gens qui combattent. Pas de pensée homogène, pas d’unification, mais un éclatement d’intérêts avec des priorités convergentes, ce qui permet de rassembler des gens aux quatre coins du monde.
Les organismes qui militent en vue d’une mondialisation plus humaine veulent bien bâtir une table de concertation qui soit indépendante et libre. L’Observatoire de la mondialisation de l’Europe, organisme non gouvernemental, est probablement un exemple à suivre. Reste à voir si le futur centre d’études québécois, financé par l’État, jouira d’une pleine autonomie.