Un nouveau pacte militaire
Le « Nouveau cadre pour la coopération militaire entre l’Inde et les Etats-Unis » (New Framework for the U.S.-India Defence Relationship) a été rendue public à Washington le 28 juin dernier. Le communiqué annonçant la signature fait état d’un niveau « inimaginable et sans précédent » de coopération entre les deux pays. De toute évidence, l’accord reflète la volonté de l’administration Bush de porter la coopération stratégique entre les deux pays à un niveau qualitativement différent. Le but est de confier à l’Inde de nouvelles responsabilités politiques et militaires, incluant des opérations multinationales, de construction de la paix et d’autres un peu partout dans le monde, particulièrement en Asie. Entre-temps, le Pakistan demeure le principal allié des Etats-Unis qui n’est pas membre de l’OTAN. Néanmoins, l’orientation vers l’Inde signifie que ce pays dans la vision américaine doit devenir le pôle principal en Asie au moment où ce continent émerge comme un nouveau centre de gravité mondial et où la Chine se présente de plus en plus comme le principal adversaire de la domination américaine.
La géopolitique de l’Asie
Les conséquences pour l’Asie sont énormes. En ce moment, les opérations militaires américaines, notamment en Irak, sont la principale source de déstabilisation en Asie de l’ouest. À l’Est, les menaces de Washington contre la Corée du Nord minent les perspectives d’un accord négocié de la question nucléaire. Dans le domaine de la sécurité énergétique, l’administration Bush tente d’isoler l’Iran et de déstabiliser l’Asie centrale au nom de la « démocratie », ce qui mène à de nouvelles confrontations. Selon un responsable du State Department qui était à Delhi récemment, « les Etats-Unis ne peuvent tolérer l’idée d’être écarté de l’Asie ». Le défi principal des Etats-Unis est de « demeurer engagé sur tous les terrains et d’éviter qu’une autre puissance ne parvienne à contrôler une région ». Selon le même expert, « la Chine devrait logiquement travailler à marginaliser les Etats-Unis en Asie ». D’autant plus qu’il n’y a pas sur ce continent une architecture d’alliances comme cela existe dans d’autres régions. Aussi l’accord stratégique du 28 juin avec l’Inde se veut une partie de ce qui pourrait devenir une architecture globale.
Confier des « mandats » à l’Inde
Cet accord envisage le déploiement de forces militaires indiennes dans le cadre d’opérations « multilatérales » non définies. On ne précise pas que ces opérations doivent être endossées ou non par l’ONU, ce qui laisse sous-entendre que cela pourrait se faire dans le cadre d’initiatives américaines unilatérales. On sait que cette évolution a été marquante ces dernières années, en Somalie, en Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak, dans un contexte où les Etats-Unis affirment que leur contrôle sur leurs opérations est « non-négociable ». Il se pourrait que l’accord du gouvernement indien dirigé par le Premier Ministre Manmohan Singh de coopérer dans un tel cadre devienne un terrain dangereux. On se souviendra que cette possibilité avait été envisagée par le gouvernement précédent du BJP, mais qu’ils avaient dû reculer à la dernière minute devant l’opposition du Parti du Congrès. Le gouvernement indien avait donc renoncé à participer à l’aventure américaine en Irak. Mais aujourd’hui, tout cela est remis en question. L’accord de juin affirme la volonté des deux pays de « lutter contre la prolifération des armes de destruction massive », qui rappelle l’initiative sur la prolifération de la sécurité, une autre initiative américaine qui voulait interdire la navigation de navires dits « ennemis ». Douteux sur le plan légal, ce projet entrave d’autres initiatives multilatérales destinées à limiter la prolifération. Aussi plusieurs pays y sont très opposés, notamment la Chine, l’Indonésie, la Malaisie et l’Iran. Dans l’accord de juin, l’Inde pourrait être appelée à intervenir contre des navires suspectés par les Etats-Unis de transporter des armes de destruction massive.
Question d’armements
Les médias indiens ont porté davantage attention sur les conséquences de cet accord au niveau des ventes d’armements américains à l’Inde. Un « groupe bilatéral sur la production et l’approvisionnement en armes » doit être mis en place pour revoir les domaines où la coopération peut être intensifiée en matière de co-production et de technologie. La co-production pourrait mener par exemple à l’assemblage de blindés américains, sans avantage technologique du côté indien. Il est question aussi de vendre à l’Inde les chasseurs-bombardiers F-16 et les systèmes de missiles « Patriot ». Selon un porte-parole de la compagnie américaine, un contrat de vente de 166 F-16 est en préparation. Selon le New York Times (16 avril 2005), il se peut que la décision de vendre des F-16 au Pakistan ait été prise par Washington pour « inciter » l’Inde à faire de même. L’Inde serait en désavantage tactique face à sa flotte aérienne composée surtout d’appareils soviétiques.
S. Varadarajan est éditorialiste au journal The Hindu. Le texte est traduit et abrégé de l’original (en anglais) paru le 1er juillet 2005.