Assemblée générale d’Alternatives
Un autre monde est possible ... Un autre monde est nécessaire
Notes en bas de page
29 août 2004
Une catastrophe imminente qu’il est encore temps de conjurer
Depuis la fin de la Guerre froide, le monde est entré dans une nouvelle période de turbulences. Les États-Unis sont la seule superpuissance qui survit à l’ambition de consolider son règne aux détriments des peuples, y compris du peuple américain. La tendance était déjà présente sous l’administration Clinton (pendant laquelle l’unilatéralisme américain s’est considérablement renforcé), mais elle a pris une ampleur considérable avec Georges W. Bush. Des facteurs circonstanciels accentuent cette évolution, dont les liens entre Bush et une certaine droite « intégriste » américaine. Les évènements du 11 septembre 2001 ont également contribué à cela, notamment en cristallisant le projet militariste (la « guerre sans fin » du trio Bush-Rumsfeld-Cheney). Cependant, au-delà de ces processus importants mais conjoncturels, les peuples sont confrontés à un projet qui veut ni plus ni moins reconfigurer le monde. L’empire dont on parle et dont rêvent les idéologues du « New American Century » sera à la fois semblable et différent des impérialismes qui l’ont précédé. L’exploitation des peuples et des ressources, la mise en place de dictatures et de démocratures pour faire la sale job au niveau local, la construction d’une nouvelle architecture militaire assumant la suprématie de l’empire, sont tous des éléments de continuité avec ce qui sévissait auparavant. Mais plusieurs éléments sont « nouveaux » également :
– L’utilisation croissante de la domination technologique (informatique, spatiale, biogénétique) et culturelle (système de valeurs, référents de base, Hollywood) comme supports essentiels au système de domination
– La mise en place d’un système moral et idéologique basé sur la pensée unique (le marché, l’entreprise) et sur la « désécularisation » de la société moderne (le retour de Dieu dans la vie publique et l’éducation, les alliances stratégiques avec les Églises chrétiennes pour décharger l’État des fonctions sociales)
– La vision d’un monde polarisé où le « clash des civilisations » (Samuel Huntingdon) appelle à la domination par les États-Unis contre les « forces du mal ».
Au-delà de ces considérations qui appartiennent dans une large mesure au monde des idées, que peut-on prévoir ? Les États-Unis sont en train d’installer effectivement une nouvelle structure de contrôle. Ils le font avec beaucoup de difficultés, d’oppositions, de résistances, d’obstacles, mais ils le font. Au cas où l’administration Bush serait défaite en octobre prochain (tout le monde l’espère !), les formes de cette offensive vont probablement changer, dans une certaine mesure, mais le fonds va rester le même.
Sans tomber dans le catastrophisme, il faut prévoir une longue et difficile période devant l’humanité où beaucoup de choses seront remises en question, et où les dangers de confrontations seront immenses. Dans le document de base des néoconservateurs américains, the New American Century, les principaux auteurs qui sont aujourd’hui au centre de l’administration américaine prévoient une série d’affrontements majeurs dont le point de départ, seulement le point de départ, est la consolidation de la mainmise américaine sur le Moyen-Orient et ses riches ressources pétrolières. L’Asie centrale, qui regorge également de gaz et de pétrole, est un autre enjeu stratégique, d’autant plus qu’une domination américaine sur cette région fermerait la porte à deux grands compétiteurs potentiels, la Chine et la Russie. Quant à l’Union européenne, il faut la « discipliner », selon the New American Century.
Ce qui veut dire, entre autres, d’empêcher l’Europe de constituer un bloc politique et économique cohérent, tout en la neutralisant sur le plan militaire. Pour cela, il importe de maintenir autour de l’Europe (Afrique du Nord, Moyen-Orient) et en Europe même (Balkans, Caucase) des sources de tensions et de déstabilisation, qui forcent les Européens à dépendre des États-Unis, via l’OTAN. Quant aux Amériques, les néoconservateurs pensent simplement qu’il s’agit de la chasse gardée définie comme telle il y a déjà bien longtemps par la doctrine Monroe. Mais pour les néoconservateurs, on va plus loin encore : le noyau « dur » (le territoire américain) est protégé par deux pare-chocs que sont le Canada et le Mexique, qui doivent se plier aux impératifs sécuritaires des États-Unis.
Tout cela reste un plan sur le papier, et bien des choses peuvent arriver, comme cela est le cas en Irak actuellement, pour faire déraper les néocons. Mais c’est ce qu’ils veulent, c’est ce qu’ils recherchent et pour le moment, ils ont le pouvoir.
Où sont les forces du progrès ?
Pendant l’essentiel du siècle dernier, la social-démocratie sous diverses formes (les partis sociaux démocrates au « nord », les mouvements de libération au « sud ») a été le cadre de référence pour les peuples en lutte contre l’impérialisme et le capitalisme. Des avancées extraordinaires ont été enregistrées, surtout au sortir de la Deuxième guerre mondiale.
Par après, les classes populaires au nord ont réellement amélioré leurs conditions de vie et de travail. Également, les peuples du sud ont dans une large mesure brisé le despotisme colonial et entrepris de reconstruire leurs sociétés. Une image parmi tant d’autres : la Chine. En 1948 au moment de la révolution chinoise, 50% de la population (200 millions sur 400) vivait dans la pauvreté « extrême » (famines récurrentes, taux de mortalité effarants, etc.). Soixante ans plus tard, dans la Chine d’aujourd’hui, il y a encore beaucoup de pauvres (150 - 200 millions), mais qui représentent moins de 15% de la population totale (1,2 milliard). En dépit de la rhétorique du Parti communiste chinois, le projet de Mao Tse Toung aura été au bout de la ligne une formidable modernisation du pays basé sur l’éradication radicale du féodalisme et de la domination impérialiste, ce qui était en soi un progrès immense pour la Chine. Aujourd’hui, une Chine capitaliste a au moins la capacité de négocier d’égal à égal avec les grands et avec le FMI au lieu d’être soumis à leurs diktats comme la majorité des pays du tiers-monde.
Chez nous, nos parents et nos grands-parents qui avaient connu la grande crise des années 1930, la Deuxième guerre mondiale, la domination d’élites réactionnaires et la pire exploitation économique, ont lutté et mis au monde les « révolutions pas-si-tranquilles », qui ont changé le rapport de forces, imposé une certaine démocratisation de la vie politique, mis en place de vastes réformes sociales et économiques. Il n’y a pas si longtemps, le Québec était une société où la majorité de la population était confinée à la petite misère (pas la famine), le quasi-analphabétisme, la domination d’une poignée de capitalistes ne parlant même pas la langue de la majorité et l’Église catholique, notamment ses secteurs les plus réactionnaires. Ce sont des modernistes sociaux-démocrates (sans le nom) qui nous ont sorti de cette grande noirceur, les René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie, Jacques Parizeau et bien d’autres. Et au-delà des modernistes, il y a des combattantEs de la liberté et de la démocratie, qui se sont battus et qui ont permis des avancées formidables : les Marcel Pépin (l’ancien président de la CSN), Madeleine Parent et tant d’autres dont on a oublié le nom pour la plupart.
Toutes ces avancées ont appartenu, dans une grande variété de formes et de manifestations politiques, au grand courant de la social-démocratie. Certains projets ont été plus avancés, plus cohérents, d’autres moins. Mais les idées étaient semblables, l’idée du progrès social, de l’égalité, de la démocratie, le concept élargi des droits, un autre rapport au monde, etc.
En cette époque turbulente toutefois, la social-démocratie est interpellée. Il n’est plus évident ni facile de représenter une alternative au néolibéralisme et au militarisme mis de l’avant par les États-Unis. Le monde a changé, les puissants sont très arrogants, de lourdes menaces pèsent sur notre avenir social, économique, environnemental.
Ici et là, des efforts réels sont consentis pour redéfinir la social-démocratie. Dans ce monde cruel, polarisé et militarisé où l’Empire est engagé dans la reconquête du monde, il faut prendre parti, appuyer directement et systématiquement les forces anti-impérialistes. Il faut proposer, se battre pour un gigantesque projet de réforme du système mondial, quelque chose d’aussi gros (et peut-être plus encore) que la création de l’ONU il y a 60 ans. La social-démocratie devra avoir le courage de faire le pas sur cette question car sans cela, elle perdra toute crédibilité en tant qu’alternative au néolibéralisme dominant.
La social-démocratie doit repenser également le projet de modernisation et de transformation sociale et économique. Le fait est que la pauvreté extrême (la famine) demeure endémique (50% de l’humanité). Le fait est que dans les pays les plus pourvus, une grande partie de la population est exclue (on pense aux jeunes, aux aînés, aux femmes, aux immigrantEs). Le néolibéralisme qui exclut aggrave ces problèmes. Les « petites » réformes ne les règlent pas. Devant l’ampleur de la déstructuration entreprise par le néolibéralisme, on ne peut pas penser régler cette question de l’exclusion en se déversant sur la « société civile » (le monde communautaire lui-même appauvri) ou sur de petits projets. À l’encontre, l’avenir de nos sociétés doit trouver une autre solution qu’une étatisation croissante de la société et de l’économie. De « grandes » réformes, - une autre « révolution tranquille »-, sont nécessaires pour sortir le bien commun du monde de la marchandise, notamment.
Parlant d’une autre Révolution tranquille, nos sociétés sont confrontées à un autre défi, celui de démocratiser l’État et la société, au-delà des droits acquis il y a un demi-siècle (et qui restent fondamentaux). La démocratie représentative a ses limites, que la démocratie participative doit combler (et non se substituer à), engager réellement la participation citoyenne dans le sens de l’auto organisation, de l’auto-formation et de l’autogestion des communautés. Cette « deuxième Révolution tranquille » (l’expression est de Gil Courtemanche) est une condition sine qua non pour retisser le lien social distendu par les politiques néolibérales. La social-démocratie, du moins dans le sud, semble prête à contempler cette perspective, mais il reste à voir jusqu’où cela ira.
Il est difficile de dire si la social-démocratie, dans toutes ses formes, saura rencontrer ces défis. Il y a une tendance forte à s’adapter au néolibéralisme plutôt que le confronter. Tony Blair en Angleterre a articulé ce programme qui est devenu le « social-libéralisme » et que certains appellent la « troisième voie » contre la tradition sociale-démocrate trop « rigide » selon eux. Plusieurs gouvernements sociaux-démocrates ont perdu beaucoup de crédibilité en reprenant à leur compte le néolibéralisme, quitte à lui donner un « visage humain ».
Au Brésil, un débat très vif traverse le PT entre ceux qui veulent accélérer les réformes sociales et ceux qui disent qu’il faut attendre et ne pas heurter de plein front le capital international. L’argument de ces derniers n’est pas totalement incohérent puisque les banques privées, le FMI, le G-8 et bien d’autres mondialiseurs néolibéraux de ce monde exercent contre Lula un chantage énorme.
Mais un peu partout, des forces sociales-démocrates cherchent réellement à se redéfinir à gauche plutôt qu’à droite. Elles proposent d’élargir les alliances sociales par en bas, avec les couches marginalisées, plutôt que regarder seulement vers le haut. Elles articulent un programme de contre-offensive contre le néolibéralisme tant à l’échelle locale qu’à l’échelle internationale. Et c’est là qu’entrent en jeu les mouvements sociaux.
Dix ans de zapatisme et d’altermondialisme
Une révolution, qu’elle soit « tranquille » (c’est préférable) ou pas (c’est parfois nécessaire quand toute avenue de changement pacifique est bloquée), représente un grand bouleversement. Ce n’est pas un modeste réaménagement du statu quo. Dans leur vaste majorité, les populations sont pacifiques et ne veulent pas tout casser pour se retrouver à bâtir sur du vide. D’autant plus que dans un passé récent, bien des révolutions au départ bien intentionnées ont débouché sur des impasses terribles. Mais en même temps, on ne peut pas se contenter de réparer une maison qui est fondamentalement mal construite. Dans bien des cas, nous sommes gouvernés par des cliques sans foi ni loi, qui n’ont d’autres perspective que de « wallmartiser » le monde, avec l’aide des avions de chasse américains si nécessaire. Il faut que ça cesse.
Depuis le soulèvement zapatiste (dont c’est le dixième anniversaire), à travers des mobilisations gigantesques et spectaculaires (Seattle, Québec, Gênes, Porto Alegre, Johannesbourg) et à travers un travail d’organisation et de conscientisation qui pénètre maintenant même les coins les plus reculés, un « nouveau » mouvement populaire s’est levé. On le dit entre guillemets, parce qu’il n’est pas si nouveau que cela : depuis toujours, les organisations populaires, les syndicats, les mouvements indigénistes, féministes, jeunes, écologistes, résistent et proposent des alternatives. Mais on le dit quand même car, dans bien des cas, le mouvement populaire se retrouve au cœur du terrain social et politique, il n’est plus en marge, il n’est plus un second violon, il n’est plus l’équipe B sur laquelle on s’appuie quand ça va mal et il fonctionne de plus en plus comme un immense réseau (et plus seulement en rangs dispersés). De plus en plus, il constitue un personnage protagoniste et souvent, il est même le moteur des résistances et du travail visible et invisible pour proposer des alternatives, car il ne se contente pas de résister, mais il propose et gagne souvent la « bataille des idées ». On peut dire cela sans arrogance (sans en faire une théorie rigide) ni exagération (sans voir les limites et les défaillances du mouvement).
Face à des contextes très variés et des cheminements pluriels, un mouvement populaire international se construit sur ses propres bases, en interaction et en interdépendance avec d’autres acteurs sociaux et politiques. C’est un mouvement qui reprend dans une certaine mesure l’héritage de la Commune de Paris et de l’insurrection paysanne de Zapata (l’originale) et de bien d’autres mouvements et expériences. C’est un mouvement qui n’a pas peur de confronter, mais qui ne fait pas du pouvoir (ou de la prise du pouvoir) une obsession ou une religion. C’est un mouvement populaire qui est orienté à gauche, qui vit les valeurs et les traditions de la gauche, mais qui n’est l’instrument de personne. C’est un mouvement qui ne dévalorise pas l’action locale, l’organisation de proximité, la mise en place de micro-expériences de transformation sociale, mais qui n’en fait pas non plus un cadre rigide.
Face aux partis de gauche, le mouvement populaire est sympathique mais en même temps réservé. On l’a trop vu avant et ailleurs, il ne sert à rien de tout mettre dans un même panier. Plus encore, l’exercice du pouvoir, dans un contexte mondial comme le nôtre, a ses limites. Le meilleur parti social-démocrate au monde ne peut gouverner sans tenir compte de ces fragiles équilibres de forces. Alors quelles sont les options stratégiques qui se posent au mouvement populaire ?
Il y a ceux, et ils sont nombreux, qui proposent une alliance avec les partis sociaux-démocrates dominants. Appelons-les, sans du tout les dénigrer, les « réalistes ». Ils ont beaucoup d’arguments, mais fondamentalement, ils en ont un très gros : il faut faire échec au projet militaro impérial des États-Unis peu importe le coût. Le réalisme en question est basé sur une réalité incontournable : seule la social-démocratie a la possibilité de changer ce cours, du moins à court terme. En dépit de tous les problèmes, de tous les avatars, la social-démocratie reste l’espace politique le plus susceptible de changer la vie.
Il y a d’autres qui disent que cela ne marchera jamais et que la social-démocratie va capituler et intégrer (coopter) le mouvement populaire dans le social libéralisme. La force de cet argument est basée sur des faits indéniables : qu’est-il arrivé au Labour anglais, au PS français, au PQ et au NPD ces dernières années quand ils ont été au pouvoir ? Est-il réaliste de penser qu’ils vont vraiment changer ? En conséquence, on propose de mettre en place une « gauche de la gauche » plus cohérente, plus proche et plus respectueuse des mouvements populaires. Au Québec et au Canada, ce débat a beaucoup avancé ces derniers temps avec des initiatives comme celles de l’Union des forces progressistes, d’Option citoyenne et de la « New Political Initiative » (qui a réussi à faire évoluer le NPD d’une manière importante). Bien sûr, le système politique qui prédomine actuellement est un système qui exclut, qui discrimine, qui marginalise et les tenants de projets plus radicaux sont confrontés à un réel dilemme. Lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis, les votes pour la gauche (Ralph Nader) ont de facto servi à Georges Bush pour vaincre le candidat démocrate (Al Gore). La campagne pour la réforme du mode de scrutin et de réelles réformes démocratiques que Paul Cliche a lancée depuis plusieurs années est vraiment fondamentale.
Face à cette évolution, plusieurs mouvements populaires interviennent, interpellent, proposent de nouvelles alliances, sans nécessairement négocier leur indépendance et leur autonomie. Tout en travaillant avec, tout en appuyant électoralement ou autrement, tout en fournissant à la gauche maintes idées et beaucoup de cadres, ces mouvements préfèrent garder le cap sur l’organisation à la base, sur des projets de transformation plus à long terme, sur un travail « politique » non partisan, qui vise à changer les références, les valeurs. « Setting the agenda » comme on dit en anglais. Au Mexique, les Zapatistes le disent clairement, il ne s’agit pas de mettre place un autre parti qui se ferait le compétiteur du PRD (qui espère prendre le pouvoir incessamment). Au Brésil, la grande majorité des militantEs du MST et des autres mouvements populaires savent qu’il vaut mieux appuyer le PT, tout en continuant la « guerre de position » (c’est une image) pour révolutionnariser le monde rural). Ce n’est pas une compétition avec les partis de gauche. C’est une façon de voir la réalité de manière différente, certains pourraient dire, à la limite, complémentaires.
Mais attention, les mouvements populaires les plus forts ne sont pas complaisants par rapport aux partis de gauche, surtout lorsqu’ils sont au pouvoir. Pas question de dire « merci chef ». Parlez-en au MST brésilien, qui n’attend pas la permission de Lula pour occuper les terres et faire échec aux féodaux et à l’agrobusiness. Les mouvements populaires qui n’agissent pas ainsi, et qui misent sur la social-démocratie pour faire les changements, se retrouvent plus souvent qu’autrement déçus, avec un sentiment d’avoir été floués. Parlez-en aux syndicats anglais ou allemands.
Notre place au soleil
La construction d’un mouvement populaire fort, cohérent, articulé, comporte d’énormes défis. Il s’agit de coaliser des communautés, des couches sociales très amples, de constituer des mouvements « arc-en-ciel » pluriels, où tout est à négocier, et où personne ne peut monopoliser la parole, sous prétexte qu’on est « plus gros », qu’on a les « seules idées réellement révolutionnaires », ou qu’il faut « procéder rapidement ». C’est une oeuvre terriblement patiente et terriblement modeste, qui se joue bien plus dans le quotidien des petites réunions et des processus rapprochés que dans des moments « cataclysmiques » (comme une élection ou une grande manifestation). Un philosophe qui a marqué l’histoire de la gauche en Italie et dans le monde, Antonio Gramsci, avait parlé dans son temps de « guerre de tranchées », d’envahissement progressif des espaces du pouvoir par les forces sociales de la transformation. Il voyait à travers les organisations populaires de nouveaux « intellectuels collectifs », capables de transformer l’action collective et de masse en projets de société. Il concevait l’affrontement avec le système dominant comme une « bataille pour l’hégémonie », où de nouveaux outils de pouvoir s’imposent dans le cœur et le sang de l’ancienne société, tel un « virus démocratique », infiltrant et subvertissant les appareils de l’État et de la domination.
Nous avons mis en place depuis dix ans une petite organisation qui s’appelle Alternatives et qui a catalysé ce qui est devenue la perspective de l’altermondialisation. Nous ne sommes pas propriétaires ni du concept ni de la réalité d’un mouvement social plus ample que nous, mais nous jouons dans ce mouvement un rôle important.
Nous avons de facto construit une coalition arc-en-ciel qui se regroupe autour de l’idée de la solidarité, en action et en principe. Nos priorités doivent rester du côté du mouvement populaire, dans une perspective peut-être plus explicite qu’auparavant : pour un mouvement populaire fort, autonome, au centre de l’échiquier politique et social (pas en marge, pas un second violon). Parallèlement, nous devons garder des liens de solidarité et d’appui mutuel avec les partis de gauche. Sans ambiguïté ni agenda caché, sans jugement de valeur méprisant ni condescendant.