Népal : le triomphe du peuple

jeudi 1er juin 2006, par Feroz Mehdi

Le 24 avril dernier, le dictateur du Népal, sa majesté le roi Gyanendra Bir Bikram Shah Dev, s’adressait à la nation pour annoncer que la Chambre des représentants, dissoute en mai 2002, était réinstaurée.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’agit pas d’un cadeau royal accordé au peuple népalais. En fait, c’est le résultat d’un mouvement de masse qui a renversé la monarchie et sa dictature. Une victoire populaire triomphante. Comme l’écrivait un journaliste indien couvrant les événements, « le court intervalle entre le 6 et le 24 avril restera comme un moment révolutionnaire dans l’histoire du Népal, durant lequel le peuple a mis à genou un monarque suprême, autocratique et arrogant, par l’unique force morale et politique de l’action collective ».

Les représentants de la Chambre se sont rapidement rassemblés pour déclarer, le 18 mai dernier, la fin du régime monarchique, en s’engageant à « restaurer un État inclusif par la formulation d’une nouvelle Constitution, et à rétablir une paix durable par la démocratie et la tenue d’une assemblée constituante ». Le Népal fut déclaré État séculaire, en opposition au royaume Hindu d’autrefois.

Maoïstes et alliance des sept partis

En février 2005, le roi Gyanendra avait imposé l’état d’urgence et s’était arrogé tous les pouvoirs, prétextant que le Parlement n’était pas en mesure d’écraser les forces armées maoïstes. Les sept partis politiques présents au Parlement se sont aussitôt rassemblés sous l’égide de l’Alliance des sept partis. Alors que la répression contre les populations népalaises s’accentuait, des manifestations régulières ont émergé à la grandeur du territoire, incluant la capitale, Katmandu. De multiples mesures furent imposées par le roi pour écraser la dissidence : arrestations, passages à tabac, censure des médias et brouillage des moyens de communication, y compris les téléphones portables.

C’est en 1994 que l’un des partis communistes népalais, le Parti communiste maoïste du Népal (CPN-M), se distanciait des partis parlementaires et adoptait la voie de la lutte armée, s’organisant à partir de villages. Le mouvement s’était rapidement étendu à la grandeur du pays, allant jusqu’à contrôler 75 % du territoire au début des années 2000.

La croissance rapide de ce mouvement armé fut accompagnée d’une réflexion pragmatique quant à ses orientations stratégiques. Les débats internes devenant de plus en plus intenses, le CPN-M conclut qu’il ne pouvait fonder une stratégie politique viable sur la seule lutte armée. Le parti maoïste, pour citer le dirigeant du CPN-M, Baburam Bhattarai, se déclara alors en faveur d’un « système multipartis compétitif, [des] droits civils et fondamentaux,[des] droits de la personne et de l’État de droit ».

Cette ouverture a donc rendu possible, à la fin de 2005, des pourparlers entre l’Alliance des sept partis et le mouvement maoïste. Une entente portant sur douze points fut élaborée. L’alliance et les maoïstes réussirent à trouver un compromis sur deux demandes principales : un engagement à mettre un terme à la monarchie ainsi qu’au conflit opposant l’armée maoïste à celle du roi. En fonction de cet accord, il fut entendu qu’un gouvernement intérimaire tiendrait des élections pour instaurer une assemblée constituante, dès la fin de la monarchie autocratique.

C’est à la suite de cette entente que l’Alliance et les maoïstes purent préparer le terrain pour une action concertée. Ainsi, les mobilisations populaires en début d’année, rassemblant des millions de Népalais à travers le pays, se sont conclues par la défiance répétée des couvre-feux imposés par le roi, et de nombreux affrontements avec l’armée royale.

Le jeu américain

Le CPN-M, une organisation terroriste aux yeux de Washington, a été un joueur des plus importants dans l’élaboration de cette entente avec l’Alliance des sept partis. Les dirigeants des partis parlementaires avaient compris que, sans la participation des maoïstes, toute négociation directe avec le roi aurait été rejetée par le peuple népalais.

L’ambassadeur des États-Unis au Népal, James Moriarty, a donc pris grand soin de discréditer l’inclusion des maoïstes dans cette négociation. Les critiques de l’ambassadeur ont été réitérées par Donald Camp, conseiller spécial pour le Népal au département d’État américain, dans une déclaration faite à un comité du Congrès américain : « Nous sommes préoccupés [par la fait] que les maoïstes, qui ont refusé de renoncer à la violence, puissent gagner une plus grande légitimité de par leur engagement [auprès]des partis politiques ». À ses yeux, cet accord avec l’Alliance des sept partis « a consolidé davantage [le] pouvoir [des maoïstes] et renforcé leur position contre le roi ».

Selon Tapan Bose, du South Asia Forum for Human Rights à Katmandu, « l’ambassadeur américain ne se lasse jamais de comparer les maoïstes népalais aux Khmers rouges. Les experts américains, poursuit-il, ont encore une fois ressorti leurs discours académiques, comparant la situation du Népal aux cas du Pérou et du Cambodge. Les agences américaines ont financé les chercheurs népalais afin qu’ils étudient les techniques d’"analyse de conflits’’, de "résolution de conflits’’ et de "transformation de conflits’’. Des séminaires étaient organisés, où les scénarios du Jugement dernier étaient créés et discutés. Les maoïstes étaient dépeints comme un groupe rapace, affamé de pouvoir, qui utilisait les pauvres ».

L’implication directe de gouvernements étrangers dans l’armement de l’armée royale du Népal est encore plus déconcertante, écrit Tapan Bose, « ravitaillée[de] 20 000 fusils M-16 par Washington, 20 000 fusils Insas de Delhi, 100 hélicoptères de Londres, et 30 000 pistolets Minimax de Belgique ».

Détermination populaire

Au-delà de telles manipulations américaines et de la force brutale utilisée par le monarque népalais, la peuple népalais semble avoir tiré une leçon de la démocratisation amorcée dans les années 1990. Plusieurs indicateurs sociaux démontrent les réelles avancées sociales atteintes au cours de cette période : le taux d’alphabétisation a doublé, passant de 36 % à près de 70 %, et l’espérance de vie s’est prolongée de dix ans.

« Plus important encore, écrit le politologue indien Praful Bidwai, après 1990 le développement s’est déployé aux régions traditionnellement peu avancées à l’extérieur de la Vallée de Katmandu. Les groupes ethniques subalternes, Janajatis, les minorités religieuses et les femmes ont connu une amélioration de leurs conditions de vie et de l’accès aux services. Tout ceci a établi une pertinence substantielle de la démocratie pour le peuple. Les classes désavantagées ont obtenu le droit de vote et se sont affranchies ».

Comme le fait remarquer Tapan Bose, « les Américains n’ont jamais connu de révolution du type de celle qui prend place au Népal. La révolution américaine ne fut pas menée par les masses affamées et exploitées. Ceci est arrivé en France, en Russie, en Chine, à Cuba. Il est difficile de prédire quand les masses opprimées surmontent leur peur de l’oppresseur. Quand l’histoire est témoin, ils le font. Et, quand ils viennent à bout de leur peur, soutient le défenseur des droits de l’homme, ils deviennent virtuellement une force qu’on ne peut arrêter. Ils changent l’histoire. »

À propos de Feroz Mehdi

Secrétaire général, Alternatives International *

Feroz Mehdi est membre fondateur d’Alternatives et travaille depuis plusieurs années aux projets lliés à la région de l’Asie du sud. Il a aussi travaillé aux niveau des programmes d’éducation au Québec et au Canada, organisant notamment des conférences et contribuant à la publication de bulletins d’actualité et de documents d’analyses et d’information.

Depuis 2007, Feroz est Secrétaire général de la fédération Alternatives International dont le secrétariat est basé à Montréal. Alternatives International compte 9 membres représentant le Canada, la France, le Brésil, Israël, la Palestine, l’Afrique du sud, le Niger, l’Inde et le Maroc.

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