Un peu avant Noël, l’intelligentsia d’ici s’est sentie interpellée quand une lettre du poète et romancier haïtien Lyonel Trouillot (auteur des ouvrages Rue des pas perdus et Thérèse en mille morceaux), à son éditrice s’est mise à circuler à Montréal (on en a même fait écho dans Le Devoir). L’appel au secours signé par Trouillot, à titre de membre du Collectif NON - qui regroupe artistes et intellectuels militant pour la défense des libertés en Haïti - n’avait cependant pas pour but de nous inquiéter à son seul sujet ou de solliciter notre pitié. Ce n’est pas le genre de Trouillot, croyez-moi. Au contraire, la lettre visait à attirer l’attention sur la gravité de la situation pour les intellectuels dans la mire des sbires du régime aux abois, comme pour l’ensemble du peuple haïtien par ailleurs.
Depuis, le président Aristide - dont les opposants réclament le départ comme gage de l’enclenchement d’un processus démocratique digne du nom - a paradé comme si de rien n’était au Sommet des Amériques de Monterrey où il a certes promis de tenir des élections d’ici six mois. Comme c’est rassurant…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le bonhomme aura mis moins de temps à passer du statut de prophète à celui de dictateur de facto qu’il n’en faut pour entonner le premier couplet de La Dessalinienne, l’hymne national d’Haïti. Est-il malveillant de rappeler que la République n’a plus de Parlement depuis le 13 janvier dernier, maintenant qu’a pris fin le mandat de ses 83 députés et des deux tiers de ses 27 sénateurs ?
Deux siècles après que la négritude se soit mise debout pour la première fois (dixit Césaire), 200 ans après la victoire si chèrement payée de ces nègres va-nu-pieds sur l’une des plus puissantes armées de l’Occident, Haïtiens et Haïtiennes n’en finissent plus de mourir dans l’attente d’une libération sans cesse promise et jamais advenue, dans la spirale absurde d’une Histoire ensanglantée par 32 coups d’États et un interminable carnaval d’exactions de tout acabit. Entre les lignes de la missive de Lyonel Trouillot, il fallait lire l’ardeur de ces hommes et femmes de cœur et de tête qui en ont marre de l’oppression et choisissent de faire résonner les coquillages de lambi comme les marrons d’autrefois, histoire de dire « non ! » aux forces qui voudraient garder Haïti chérie dans ses chaînes.
« Pour le drapeau, pour la patrie, mourir est beau, mourir est beau », s’il faut en croire le dernier couplet de La Dessalinienne. Personnellement, je trouve que ça commence à faire…