« Nous avons visité un bidonville incroyablement pauvre à l’extérieur de Lusaka, en Zambie », me racontait Stephen Lewis, représentant spécial des Nations unies en Afrique pour le VIH/sida, à son retour d’un voyage en Afrique australe. « Environ 700 ou 800 personnes s’étaient réunies pour nous accueillir. J’ai regardé attentivement le groupe. Dans la première rangée, il y avait une poignée de femmes dans la vingtaine et la trentaine avec de jeunes enfants sur leurs genoux. Les autres étaient des grand-mères. Soudain, toutes les statistiques que je connaissais concernant l’impact du sida sur les femmes africaines devenaient concrètement visibles. Une génération complète est en train d’être décimée. »
Les statistiques sont renversantes. Selon les Nations unies, des 26 millions d’adultes infectés en Afrique subsaharienne, 58 % sont des femmes. La situation est encore pire pour les jeunes femmes. Les deux tiers des 15 à 24 ans qui vivent avec le sida sont des femmes.
Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables face au sida ? Selon l’UNIFEM, l’agence des Nations unies pour le statut de la femme, les femmes ne sont souvent pas en mesure de contrôler leurs relations sexuelles ou de négocier une sexualité sans risque. Dans certains pays africains, les hommes ont des relations sexuelles avec des femmes de plus en plus jeunes, croyant qu’une relation avec une vierge les protégera du sida. La violence sexuelle comme arme de guerre est aussi un facteur de propagation. Et les femmes sont biologiquement plus susceptibles d’être infectées par des maladies transmises sexuellement.
L’épidémie du sida contribue également à aggraver les inégalités. Notamment parce que le soin des malades et des orphelins est un fardeau qui incombe aux femmes. Selon la directrice de l’UNIFEM, Joanne Sandler, « les femmes plus âgées et les jeunes filles sacrifient leur vie pour pallier aux lacunes des gouvernements et de la communauté internationale. »
Stephen Lewis indique que des 30 millions d’individus vivant avec le VIH/sida dans le monde, 6 millions se qualifient pour un traitement, selon les critères médicaux. Seulement 70 000 en bénéficient. En Amérique du Nord, 100 % des personnes atteintes du VIH/sida sont traitées.
« Pourquoi une vie koundounaise [nationalité africaine fictive] a-t-elle moins de valeur qu’une vie américaine à mes yeux ? », se demandait le président Bartlett dans un épisode de la série télévisée américaine, The West Wing, diffusée l’an dernier. « Je ne sais pas, monsieur, mais elle en a moins », répondait son attaché de presse.
C’est la question que nous devons nous poser. Pensez à l’hystérie autour du SRAS alors que 800 personnes dans le monde entier en sont mortes cet été. En 1999, 2,1 millions de gens sont morts du sida et 83 % d’entre eux vivaient sur le continent africain. Devant l’inaction pitoyable de la communauté internationale contre le sida en Afrique, il est évident que le racisme joue un rôle majeur.
Et pourquoi le mouvement altermondialisation et le mouvement des femmes ne placent-ils pas la lutte contre le sida en Afrique en tête de leur programme ? Le coût élevé des médicaments, reliés aux brevets accordés aux grandes compagnies pharmaceutiques en vertus des accords de commerce internationaux, joue un rôle significatif dans ce problème. L’égalité des femmes a un rôle significatif à jouer dans la solution.
L’épidémie du sida en Afrique peut être arrêtée. Tout ce que ça prend, c’est une volonté politique. Maintenant que les gouvernements africains ont commencé à mobiliser leurs ressources pour mettre un terme à la progression de la maladie, il est temps que le monde entier y contribue.
Judy Rebick, journal Alternatives