Montréal rendez-vous !

jeudi 22 avril 2004, par France-Isabelle LANGLOIS

Il jouait dans les bars enfumés de jazz de Montréal. Maintenant Hollywood lui déroule son tapis rouge, les offres fusent de partout. Dans quelques jours il sera en Chine, puis à Porto au Portugal. Décidément, sa rencontre avec le réalisateur de films d’animation Sylvain Chomet aura changé bien des choses pour Benoît Charest, le désormais très connu compositeur des musiques des Triplettes de Belleville.

Lorsque Benoît Charest parle de ses premières rencontres avec Sylvain Chomet, il parle de chimie, de complicité et d’un désir réciproque de travailler ensemble. Voilà que le cinéaste propose au musicien de composer la musique de son prochain film d’animation, Les Triplettes de Belleville, avec « des idées saugrenues », comme de la musique avec des frigos, des roues de bicyclette et des aspirateurs. « Je pressentais quelque chose de gros artistiquement, quelque chose où je pourrais m’exprimer plus que d’habitude », affirme Benoît Charest qui, pour autant, ne s’attendait absolument pas à ce succès médiatique, puisque cela n’a rien à voir avec les blockbusters hollywoodiens, comme Finding Nemo par exemple.

Si, au départ, Les Triplettes ne se voulaient pas nécessairement un film pour enfants, il se trouve que malgré tout, cela leur plaît énormément. Ça ne fait aucun doute pour le compositeur, « c’est à cause de la graine de révolte chez les vieilles dames, et parce que c’est rythmé ». Des vieilles dames tout à l’encontre de l’idéal américain, qui habitent une piaule miteuse et ne sont pas du tout malheureuses, contrairement aux critères habituels de l’industrie hollywoodienne. Elles pêchent des grenouilles à la grenade et font tout un tas d’autres trucs un peu délinquants.

Si Les Triplettes donnent dans la révolte, qu’en est-il alors du film éponyme ? C’est aussi un peu de révolte répond Benoît Charest qui qualifie Sylvain Chomet d’idéaliste voulant casser le moule de l’animation façon « rentabilité ». Voilà. Le mot est lâché : « La rentabilité est l’un des plus gros maux, le fléau de notre société. »

Fresh, disent les Américains

La musique jazzée des Triplettes est tout aussi rebelle et défie bien entendu les standards éculés de la pop-rock. Un mélange de jazz, d’un brin de folie et d’un je ne sais quoi qui apparemment fait toute la différence. C’est ainsi que le 29 février, lors de la 78e soirée des Oscars, Benoît Charest est non seulement en nomination pour l’Oscar de la meilleure musique de films, mais il a aussi la « chance » d’interpréter Belleville rendez-vous avec sa femme Béatrice Bonifassi, superbement vêtue de rouge, devant un parterre impressionnant de stars et quelque millions de téléspectateurs.

Oh surprise ! Visiblement, les Américains ont aimé. Beaucoup. Et selon le musicien, « la musique [des Triplettes] a accroché même les Américains parce qu’elle est diamétralement opposée à la musique hollywoodienne. C’est rafraîchissant, les Américains disent fresh. Même si c’est de la musique des années 40, 50, 60. » Rires. Ben Charest aime la musique de l’après-guerre, les débuts du rock, du jazz et du blues. Il parle de la proximité qui existait alors entre la musique et les mouvements sociaux. Il a la nostalgie des grands orchestres - qu’il n’a pas connus - et qui à une certaine époque étaient près de 2 000 à se produire sur une base régulière à Montréal, lui a-t-on dit. Il se demande, en riant, pourquoi aujourd’hui ce n’est plus possible, pourquoi tout coûte toujours plus cher ? Et nous voilà revenus à la case « rentabilité ».

« La rentabilité, c’est vraiment un gros fléau, renchérit notre compositeur vedette. Même les gouvernements parlent de ça. Un gouvernement, ça devrait être socialiste. Ça ne devrait pas parler de rentabilité, de déficit zéro. Le pouvoir est réclamé par les truands. Bush, c’est tellement grossier [rires, quelque peu désabusés]. L’opium du peuple aujourd’hui, c’est l’illusion qu’on est maître de notre vie par notre pouvoir de consommation. Les politiciens détiennent les journaux, contrôlent l’information. C’est la base du fascisme. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus subtile… »

« 10 ans d’alternatives ! »

Et l’engagement dans tout ça ? « Prêter sa voix à une cause, c’est important et c’est une bonne chose. Mais ça peut aussi devenir dangereux, si l’on commence à dicter les conduites comme les prêtres, les preachers. »

Le 12 juin, Benoît Charest sera de la partie lors de la grande fête d’Alternatives « 10 ans d’alternatives ! », au Spectrum de Montréal, en compagnie d’une foule d’autres artistes (voir publicité en page 2 du cahier Alternatives). C’est un rendez-vous. Enfin, après deux ans de Triplettes, le compositeur commence à avoir drôlement envie de faire autre chose, d’autres films par exemple, mais aussi des projets personnels. N’empêche, nous aurons bientôt la chance de le voir, lui et toute l’équipe des Triplettes dans un grand happening festivalier…

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