Billet

Mon petit chinois à 5 cents

jeudi 27 mars 2008, par Pierre Beaudet

À une époque pas si lointaine, j’« achetais » pieusement chaque vendredi un petit chinois pour cinq sous. Je trouvais cela émouvant de voir sa photo plus ou moins floue, plus ou moins triste. Je ne comprenais pas vraiment ce dont il s’agissait, à part le fait que notre sainte mère l’Église le sauvait de la famine et des méchants communistes qui avaient non seulement envahi la Chine, mais surtout expulsé nos vaillants missionnaires. La révolution chinoise battait son plein. Dans les campagnes, les paysans et surtout les paysannes se révoltaient contre le joug d’un féodalisme passé d’âge. Et aussi contre les impérialistes rapaces qui rêvaient de découper le vieil Empire mandarin comme ils l’avaient fait avec l’Afrique. Cette révolution que nos missionnaires qualifiaient de communiste était avant tout une grande revanche du monde paysan et un sursaut anti-impérialiste à une immense échelle. Au moment de l’arrivée de l’armée rouge à Pékin, Mao a exprimé ce que tout le monde voulait : « Désormais, disait Mao, la Chine sera debout. »

Cinquante ans plus tard, il y a toujours 100 millions de crève-la-faim en Chine (selon l’ONU). Entre-temps , la nomenklatura postmaoïste s’en met plein les poches dans le cadre d’un turbocapitalisme qui bat tous les records. Mais les Chinois ont des emplois et disposent de services (limités) de santé et d’éducation. Bref, la majorité est sortie de la misère comme cela n’est pas arrivé ailleurs dans le tiers-monde, du moins à cette échelle. Bien sûr, les paysans, les travailleurs, les étudiants, se battent non seulement pour mieux vivre, mais aussi pour élargir des droits sociaux, économiques et politiques contre un parti unique qui n’a que peu à voir avec la révolution d’origine. Les médias occidentaux ne parlent jamais des grèves qui traversent le sud de la Chine notamment, mais qui sont pourtant bien documentées sur des sites Internet militants comme celui du China Labour Bulletin.

Devant tout cela, la Chine interpelle et choque. Les élites occidentales s’inquiètent de la montée en puissance d’un État qui n’accepte pas la subordination qu’on voudrait lui imposer via le FMI et la Banque mondiale. Les médias excitent l’opinion contre une « invasion » chinoise dans le monde par ses produits et ses investissements. On s’insurge de la présence chinoise en Afrique, un continent ravagé depuis 500 ans par le pillage colonial et les rivalités entre impérialistes occidentaux. À Washington, les think tanks de droite prédisent que le grand conflit du XXle siècle ne sera pas au Moyen-Orient, mais contre une Chine « agressive » qu’il faudra bien un jour, de gré ou de force, « civiliser ».

La Chine a ses problèmes. Le système politique est autocratique. Les factions peuvent s’exprimer, mais dans le cadre du parti unique. Les gens peuvent se battre pour leurs droits sociaux, dans des limites étroites et, surtout, s’ils ne remettent pas en question le monopole du pouvoir. Enfin, les minorités nationales comme les Tibétains et les Ouïghours sont violemment réprimées pour ne pas qu’elles réclament leurs droits nationaux.

Les États-Unis, le Canada et les autres puissances condamnent les violations des droits et exigent la démocratisation de la Chine. Mais est-ce crédible ? Pourquoi cette grande sollicitude pour la démocratie n’est-elle pas valide ailleurs ? Comment expliquer le cas de l’Indonésie, un pays où l’État et les dominants ont commis, avec l’appui occidental, deux (pas un) génocides en trente ans ? Qu’est-ce qui motive le silence d’Ottawa devant les terribles exactions commises par l’armée indonésienne, de connivence avec des entreprises minières canadiennes, dans la partie orientale de l’archipel ?

Il n’y a aucun doute qu’il faut se solidariser des Tibétains. Ils ne sont nullement responsables des manœuvres des États qui veulent les utiliser pour leurs sordides jeux géopolitiques. Il faut distinguer leurs luttes et leurs revendications de la bouffonnerie morale des néoconservateurs étatsuniens et canadiens qui, sur le dos des peuples concernés, menace la Chine de démantèlement (comme l’a été l’URSS ou l’ex-Yougoslavie). Tout cela va mener le monde à de nouvelles guerres, la « guerre sans fin » comme le dit le président Bush.

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