Pour encore trop de Québécois francophones, Stephen Lewis reste un parfait inconnu. Ce sexagénaire est pourtant un homme comme on les aime : rebelle engagé, étonnant visionnaire et pragmatique à la fois, puissant humaniste et féministe de surcroît ! À mon sens, un des plus formidables joyaux dont le Canada ait accouché. Une pétition sur Internet a récolté 23 000 signatures pour soutenir sa candidature comme Prix Nobel de la paix cette année. Il le mériterait largement.
Sa vaste carrière de diplomate - d’abord comme ambassadeur du Canada à l’ONU en 1984 et plus récemment comme envoyé spécial de Kofi Annan dans la lutte contre le VIH/sida - n’a pas assagi ses propos percutants, ni ankylosé sa pensée critique. Au contraire.
Les Éditions Leméac/Actes Sud viennent de lancer un ouvrage que devraient lire tous les altermondialistes, les passionnés de la santé publique, de l’écologie humaine, de l’éducation, des relations internationales... Et les féministes. Intitulé Contre la montre, Stephen Lewis y raconte son attachement et son engagement indéfectibles envers l’Afrique - et particulièrement envers les Africaines vivant avec le sida, à qui le livre est dédié. La première phrase se lit ainsi : « J’ai passé les quatre dernières années de ma vie à regarder des gens mourir ».
Sa passion nourrie pour ce continent croulant dans la quasi-indifférence des puissances internationales a pris naissance quand il avait 20 ans. En 1960, tout juste sorti de l’Université de Toronto, avant même d’avoir terminé le premier cycle universitaire, il se retrouve à l’Assemblée mondiale de la jeunesse, au Ghana, dans une bande de jeunes allumés, engagés, progressistes, des Africains pour la plupart. Cette rencontre a tourné en histoire d’amour entre Stephen Lewis et le continent. Un continent qu’il a sillonné en tous sens par la suite, et pas qu’à travers les capitales, s’y faisant des milliers de connaissances, d’amis et quelques opposants bien sûr. Son allergie à la langue de bois a dû crisper bien des réunions internationales.
Son verbe coloré, sa puissance de conviction, sa rigueur et sa détermination à combattre le sida en Afrique imprègnent les cinq conférences compilées dans Contre la montre. Le livre se laisse dévorer ; le conférencier est d’abord un conteur. Au-delà des critiques documentées et nuancées qu’il formule, l’ouvrage est rempli d’anecdotes puissantes qui résument mieux que trois rapports internationaux les préjugés et le laxisme qui sévissent dans les institutions responsables. Mais par-dessus tout, Lewis fait état de solutions possibles, d’approches à consolider, de programmes à revoir, de manières efficaces de tenir parole. Il demeure convaincu que les pays du G-8 ont collectivement les moyens de rétablir la santé et, du même coup, l’espoir de construire une économie plus robuste. Le Canada, seul pays du G-8 qui nage dans les surplus, ne tient pas promesse en termes d’aide étrangère, faut-il le rappeler. Il ne verse pas le 0,7 % auquel il s’est engagé il y a plusieurs années. L’avenir des enfants qui littéralement regardent leurs parents mourir « reste entre les mains, en bonne partie, de gens qui ont toujours prétendu avoir de la compassion sans en avoir vraiment. »
Stephen Lewis sera à Montréal, à l’École des Hautes Études Commerciales, lundi 27 novembre pour prononcer une conférence à l’invitation de la fondation nouvellement crée 60 millions de filles, dont je suis la marraine. 60 millions de filles, c’est le nombre de fillettes empêchées ou découragées de faire des études de base dans plusieurs pays en développement. Pour sa première année, la Fondation a choisi d’épauler financièrement un projet formidable en quatre volets, situé à Lusaka en Zambie, où 23 % des enfants sont orphelins du sida. Il s’agit du Centre de formation Umoyo, dédié à des jeunes filles, et que la Fondation Stephen Lewis encadre depuis 10 ans. La Fondation 60 millions de filles a choisi de prêter main-forte à l’expert rebelle parce qu’il sait bien, comme vous, que la pierre angulaire de tout développement durable passe par l’éducation.