L’initiative en question s’inscrit en continuité des actions du Conseil qui veut arrimer encore plus fermement le Canada aux États-Unis. Lors d’une visite organisée par D’Aquino à Washington en avril 2003, 100 PDG des plus grandes entreprises canadiennes ont eu la « chance » de rencontrer quelques-uns des hauts responsables de l’administration américaine. Informés des détails de la doctrine Bush sur la sécurité nationale, ils ont compris le message : le Canada doit intégrer davantage les besoins et les demandes des États-Unis en matière de sécurité s’il veut consolider les échanges économiques avec le voisin du sud, qui absorbe près de 90 % de nos exportations.
La sécurité des États-Unis, ça veut dire quoi ?
Mais pour l’administration Bush, la sécurité des États-Unis implique l’ensemble des politiques destinées à consolider la suprématie américaine dans le monde. Les États-Unis, explique Bush, sont prêts à agir unilatéralement, à lancer des attaques nucléaires s’il le faut, à restreindre les droits fondamentaux si la « guerre contre le terrorisme » l’impose.
Tout cela a été démontré lors de la guerre contre l’Irak. Et les autres pays, le Canada y compris, étaient censés embarquer dans cette aventure.
Selon D’Aquino, Bush ne veut pas discuter des intérêts économiques du Canada si le Canada n’est pas prêt à accepter les intérêts et les demandes des États-Unis en matière de sécurité. Les éléments constitutifs de cette politique de la sécurité couvrent un large front, de l’énergie au secteur social, de l’eau à l’immigration, de la défense à la politique extérieure.
Tout militaire
Il est évident que l’administration Bush ne prendra pas à la légère un « deuxième refus » de coopérer dans le cas d’une opération militaire comme cela a été le cas en Irak. La demande américaine est claire, le Canada doit se ranger et accepter d’augmenter substantiellement ses dépenses militaires.
Le premier test est évidemment le système de défense anti-missile. Selon des membres du cabinet Martin, la pression est très forte de ce côté pour embarquer dans un projet aussi néfaste qu’absurde, dangereux aussi puisqu’il va mener à la nucléarisation de l’espace et à la relance de la course aux armements. Selon le CCCE, le Canada serait bien avisé de participer à ce projet, et également d’augmenter les dépenses militaires, notamment pour assurer « l’inter-opérationnalité des forces armées canadiennes et américaines ».
Le fait est qu’Ottawa est déjà engagé à dépenser 13,6 milliards de dollars dans le militaire, ce qui fait du Canada le sixième plus gros (sur 26 États) opérateur militaire de l’OTAN, très loin devant des pays comme la Norvège et la Belgique.
Quelle sécurité pour quel territoire ?
Depuis les attaques du 11 septembre 2001, les États-Unis ont imposé une panoplie de législations répressives, en conformité avec le Patriot Act. Le gouvernement canadien, à la demande de Washington, s’est empressé d’adopter la loi C-36, qui renforce considérablement les pouvoirs des agences de sécurité. Plus grave encore a été le traitement accordé à des citoyens comme Maher Arar, un citoyen canadien que les États-Unis, avec l’approbation de la Gendarmerie royale, ont déporté vers la Syrie où il a été détenu et torturé pendant un an.
Aux États-Unis, des milliers de personnes sont détenues sans procès et sans même avoir accès à leurs avocats. La loi C-36 pourrait mener à des situations semblables.
Qui veut nos ressources énergétiques ?
La sécurité des États-Unis repose en bonne partie sur leur accès à des ressources énergétiques fiables et bon marché. On ne sait pas beaucoup que le Canada dépasse l’Arabie saoudite comme premier fournisseur de pétrole à notre voisin du sud.
Washington claironne sur tous les toits que la priorité est de sécuriser l’accès aux ressources canadiennes. On vise plus particulièrement les sables bitumineux de l’Athabasca (les réserves estimées sont de 271 milliards de barils).
On parle également d’une plus grande intégration de nos ressources hydroélectriques avec les États-Unis, et où le Canada se voit défini comme l’ultime « police d’assurance » en cas de pénurie au sud.
Le CCCE et des politiciens comme Stephen Harper sont très peu explicites sur les conséquences possibles d’un tel alignement ni sur l’impact que tout cela aura sur le respect par le Canada des engagements environnementaux comme le Protocole de Kyoto.
Niveler par en bas la sécurité sociale
La priorité de l’administration Bush est de privatiser la sécurité sociale, notamment le système des pensions hérité de l’époque de Roosevelt. L’idée étant que des corporations gigantesques prendront peu à peu le « relais » dans la santé, l’éducation, l’assistance sociale. L’harmonisation de nos politiques avec celles des États-Unis est une nécessité, selon le CCCE, qui compte sur l’intérêt annoncé de la part d’Ottawa pour les « partenariats public-privé », mais plus fondamentalement, sur l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS), promu par les États-Unis et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Si l’AGCS était adopté, le Canada pourrait être accusé de contrevenir à son esprit s’il maintenait le « monopole » du secteur public dans le secteur des services. Selon le gouvernement Martin, il n’est pas question d’ouvrir aux entreprises étrangères la santé et l’éducation, mais selon le CCCE, il faudra choisir entre notre adhésion à l’OMC et des « principes dépassés ».
L’enjeu de l’eau
Tout le monde le sait, l’eau sera l’enjeu majeur de la période à venir. Aux États-Unis, une catastrophe est annoncée, avec la Californie, le Nouveau-Mexique et l’Arizona qui sont à sec. Quant aux eaux souterraines dans le Midwest, le grenier à blé des États-Unis, elles sont largement sur-utilisées.
Deux grands projets sont en attente. Le premier vise à détourner les eaux du nord du Québec vers les Grands Lacs, qui seraient ensuite déversées sur le Midwest. Le deuxième projet viserait à canaliser l’eau des rivières de Colombie britannique et du Yukon vers les Montagnes Rocheuses et de là vers la côte ouest américaine. Tout cela fera à coup sûr partie de la discussion sur la « sécurité » des États-Unis.
Ramasser les pots cassés
Les États-Unis de George W. Bush l’ont déjà dit, la guerre contre le terrorisme ne fait que commencer, ce que Washington attend du Canada n’est pas tellement une participation directe à cette guerre (l’armée américaine n’en a pas besoin), mais un appui indirect. Comme par exemple d’aller ramasser les pots cassés en Afghanistan ou en Irak.
L’enveloppe de l’aide canadienne a de facto été diminuée depuis 2001 malgré le 8% d’augmentation annoncé, car l’essentiel des nouveaux argents a été orienté vers ces nouveaux mandats. Entre-temps, Washington peut continuer la guerre dans d’autres cieux.
Que fera Paul Martin ?
Devant le lobby de l’establishment économique, le gouvernement libéral hésite. S’il résiste à l’assaut de Georges W. Bush, les coûts pourraient être salés. S’il capitulait, il irait à l’encontre d’une opinion publique très majoritairement contre une plus grande subordination aux États-Unis et surtout contre l’abandon de souveraineté sur des éléments constitutifs du pays et de la société. Une pression intérieure surgit également du fait que l’opposition officielle, le Parti conservateur de Stephen Harper, mettrait en œuvre demain matin et en souriant le programme suggéré par le CCCE.