
La revue 24 Images présente dans son numéro du printemps 2005 un remarquable dossier intitulé « Les cinémas nationaux face à la mondialisation ». Alors qu’on discute encore d’une convention sur la diversité culturelle à l’UNESCO et qu’on se demande si elle sera suffisamment contraignante pour ralentir le bulldozer du divertissement américain, en empêchant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de régir les produits culturels, on devine bien que c’est le cinéma qui est au cœur de la tourmente plus que tous les autres modes d’expression.
Voici quelques constats connus, mais qu’il faut rappeler : alors que sept Majors américaines contrôlent 80 % du marché mondial, les films étrangers n’occupent que 1 % des écrans américains. Des cinémas nationaux autrefois exemplaires et précurseurs, comme celui de l’Italie de Fellini, Visconti, Pasolini etc, ou ceux de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne sont à l’agonie.
Toujours exceptionnelle, la France se distingue dans ce cimetière de cinématographies : plus du tiers des entrées pour des films français. Une surprise qui comme une hirondelle fait peut-être le printemps : le Brésil dont le cinéma national est passé de zéro entrées en 1994 à 20 % du marché en 2003. Dans les deux cas, il faut noter que ce sont des pays dotés d’une fierté culturelle nationale, qui confine parfois à l’orgueil, mais surtout, que les productions locales bénéficient de programmes d’aide et de soutien gouvernementaux exceptionnels. C’est particulièrement le cas de la France où chaque spectateur paye une taxe de 11 % par billet pour financer le fonds de soutien. Taxer Spiderman pour financer Amélie Poulain, voilà une astuce machiavélique que même le gouvernement de René Lévesque, nous révèle Louise Beaudoin, a refusé de mettre en place.
Deux grandes inquiétudes se dégagent de ce dossier. Si dans l’Union européenne, les aides au cinéma sont reconduites jusqu’en 2007, l’avenir à long terme n’est pas pour autant assuré. Il repose entièrement dans le libellé de la Convention de l’UNESCO. Est-ce que la coalition au départ lancée par le Canada, le Québec et la France, et maintenant riche d’alliés cruciaux comme le Brésil ou l’Espagne, ratissera assez large pour sortir définitivement les produits culturels des règles de la concurrence sauvage que l’OMC applique à l’ensemble des produits et des services commerciaux ? On pose ici une question implicite : si la large coalition du mouvement altermondialiste (avec l’appui des pays du tiers monde bien souvent) a réussi à enrayer parfois le processus de mondialisation économique, comment pourrons-nous obtenir le même succès - en matière de diversité culturelle - sans une mobilisation identique qui déborde les acteurs culturels ? Louise Beaudoin souligne avec raison que le Forum social mondial a tardé à inscrire dans ses préoccupations la diversité culturelle. Il n’est pas trop tard pour en faire une priorité. Il reste six mois avant l’adoption de la Convention.