Minuit moins cinq à Gaza

mercredi 28 septembre 2005, par Pierre Beaudet

Gaza - Dans les rues décrépites de la ville, les affiches à la gloire des martyrs abondent. « Nous avons bouté les agresseurs de Gaza, et demain nous ferons de même à Jérusalem ! » s’exclame un fedayin sur une grande surface multicolore et resplendissante. Rencontrés ici et là cependant, les Gazaéens n’ont pas vraiment l’âme à la fête. « Il est vrai, affirme le docteur Iyad Sarraj, que le départ des 8 000 colons militarisés est un événement qui peut rouvrir la porte au processus de paix. » Mais même les optimistes, comme le docteur Sarraj, ont le triomphe modeste. Selon plusieurs, le retrait israélien n’a pour le moment qu’« élargi la cage » qu’est devenue Gaza depuis quelques années. L’encerclement, de cette étroite bande de terre le long de la Méditerranée, est pour le moment total. Ce qui fait de ce territoire une sorte de grande prison à ciel ouvert.

Sous la main de fer d’Ariel Sharon, les Palestiniens ont payé la note. Déjà pauvre et démunie, la population a été clochardisée et rejetée dans la misère. Plus de 50 % des gens sont sans emploi depuis que les passages vers Israël ont été fermés. Un surplus que l’économie locale est incapable d’absorber, Gaza ayant toujours constitué depuis 1967 le réservoir de main-d’œuvre à bon marché de Tel-Aviv. Dans plusieurs camps de réfugiés, la malnutrition et l’absence de services de base créent une situation qui se compare à celle des régions les plus pauvres de l’Égypte et du Soudan.

En fermant Gaza au monde, Ariel Sharon avait invoqué la nécessité de préserver Israël de la menace terroriste. Plus tard, comme en septembre 2004, les incursions israéliennes ont littéralement pulvérisé le peu d’infrastructures qui restait à Gaza, les « punitions collectives » qui ont jeté à la rue des milliers de résidents. Cependant, loin de détruire l’infrastructure de la résistance, ces actions ont fait basculer, davantage encore, la population dans le camp de Hamas.
Les attaques contre les colons et les soldats se sont multipliées. Certes, les attentats terroristes contre les civils israéliens ont diminué. Mais selon les analystes, c’est moins à cause de l’encerclement qu’en raison d’une réorientation tactique de la résistance armée. Cercle vicieux sans fin, la répression et l’enfermement des Palestiniens nourrissent un conflit qui risque de s’éterniser, au-delà du retrait de Gaza.

Aujourd’hui, des optimistes espèrent que l’évolution récente permettra d’avancer et que cela ne sera pas une simple manœuvre israélienne pour gagner du temps. Mais pour qu’il y ait une réelle ouverture, il faut que le gouvernement israélien aille plus loin, notamment en ouvrant les portes de Gaza et en permettant le retour des travailleurs palestiniens. Détendre la situation impliquerait aussi des mesures audacieuses en Cisjordanie, où les Palestiniens sont encore plus nombreux. Mais la Cisjordanie est de plus en plus enfermée par le Mur et une série de fortifications militaires. Se déplacer de Jérusalem Est vers Ramallah (15 kilomètres) est d’une quasi-impossibilité pour la majorité des gens.

Or à peine deux semaines après le retrait israélien de Gaza, les affrontements ont repris. Les assassinats de militants par l’armée israélienne ont motivé Hamas à lancer ces roquettes artisanales, qui ont été suivies d’attaques de grande envergure contre les civils. Le cercle vicieux réapparaît. Tout le monde le sait à commencer par les commandants militaires israéliens, des milliers de jeunes Palestiniens n’ont d’autre rêve que de devenir des « shahid » (martyrs), à l’image des guérilléros sur les affiches de Gaza. Des rêves qui se transforment en cauchemar, puisque les attentats ne font qu’envenimer une confrontation déjà bien trop violente.

Entre-temps, des élections sont prévues du côté palestinien d’ici quelques mois. Lors du dernier scrutin au printemps, une grande partie des suffrages avait été captée par Hamas, en partie comme un vote de protestation contre l’Autorité palestinienne perçue comme inefficace et corrompue, en partie parce que Hamas se présente comme le seul rempart contre la violence de l’occupant. Le nouveau président palestinien Mahmood Abbas sait qu’il doit battre Hamas politiquement, et non, comme le voudraient Tel-Aviv et Washington, en engageant une guerre à finir contre le mouvement intégriste. Même les pires ennemis de Hamas comme la gauche démocratique affirment qu’une telle confrontation inter-palestinienne ne mènerait qu’à la dictature et à une plus grande soumission encore à l’occupant.

La balle est donc dans le camp israélien-américain. Il reste encore une petite chance pour redémarrer le processus de paix. Les conditions sont archi-connues et archi-banales : reconnaître le droit des Palestiniens à un État souverain sur les territoires occupés en 1967, retirer les forces d’occupation et les colonies des territoires, élaborer avec les Palestiniens une série d’accords permettant la libre circulation des biens et des personnes de façon à éradiquer la misère du côté palestinien. En échange de quoi, il est marqué dans le ciel que la violence va cesser.

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