
Serge Michel est un jeune reporter suisse de 35 ans, qui a déjà parcouru bien des guerres, bien des révolutions. Toujours un peu en décalage, après que les bombes soient tombées, après que les talibans aient pris la fuite, une fois le dictateur déchu, une fois le mur tombé.
C’est ainsi qu’il a parcouru l’ex-URSS, l’Europe de l’Est, les Balkans, le Proche-Orient, pour la radio suisse et quelques journaux aussi. Il passe quatre ans en Iran dans les années 1990, puis inévitablement se rend en Afghanistan et en Irak, parcourant l’un et l’autre de ces deux pays meurtris entre 2002 et 2004, en compagnie d’un jeune reporter photographe de 34 ans, Paolo Woods. Cela donne un très beau livre où écrits et photos se croisent et s’entrechoquent. « Je me définis comme un reporter d’après-guerre. Il y a plus d’histoires humaines, plus de sensibilité. », déclare-t-il en entrevue, alors qu’il était de passage à Montréal, fin avril. « M’arrêter dans les bistros, parler avec les gens, c’est ce que j’aime faire. Pour ce genre de reportage ça prend un peu plus de sécurité. » Voilà, le mot est lancé : sécurité. Est-ce à dire que le journaliste ne retournera pas dans ces contrées de sitôt ? « En Irak, je ne suis pas sûr, la situation est trop dangereuse. J’ai une femme et un enfant. »
« La période juste après [la guerre], on circule librement, puis on ne circule plus du tout », raconte Serge Michel, peut-être un brin nostalgique, du climat sans doute hors du temps et de la réalité qui a suivi la fuite des talibans et la chute de Saddam Hussein. Et de fait, cela donne de très belles histoires qui nous sont ici contées avec beaucoup de sensibilité. Ce qui frappe tout particulièrement l’auteur, ce sont les histoires d’amour. Les mariages arrangés, pléthore dans les environs, surtout en Afghanistan, le fascinent aussi beaucoup. Et c’est ainsi que d’un récit à l’autre, alors que les femmes apparaissent totalement absentes, particulièrement en Afghanistan, on en apprend tout de même un peu sur elles, sur leur vie au quotidien. À travers les yeux et les paroles des hommes certes, mais n’est-ce pas, de toute façon, ce à quoi elles sont condamnées. Car si les talibans ne règnent plus, la burqa elle, est toujours le lot de la grande majorité.
« Il est vraiment très difficile de voir des femmes en Afghanistan. À Kaboul oui, mais ces femmes ne m’intéressent pas », avoue Serge Michel, qui qualifie les femmes de Kaboul de « féministes autorisées ». Ces dernières ne portent pas la burqa et parlent librement, mais sont des expatriées revenues au pays après que les barbus soient tombés aux mains des Américains. Ce qui intéresse le jeune reporter, se sont ces Afghanes qui n’ont rien connu d’autres que l’Afghanistan, que les régimes successifs autoritaires, répressifs et sanglants, des Soviétiques, des moudjahidin, et des talibans. Alors il fait parler les hommes. Il y a l’histoire de ce type qui n’arrive pas depuis plus de dix ans à amasser la somme nécessaire pour la dot qu’il doit verser à la famille de sa fiancée. Résultat, ils ne sont toujours pas mariés, et la promise est condamnée à attendre enfermée chez ses parents. Quant à lui, s’il décide de rompre les fiançailles, il perdra l’argent déjà versé.
Il y aussi celui qui explique au journaliste comment les femmes sont « les meilleures des animaux ». Et puis, cet autre qui se vante de n’avoir qu’une seule épouse dont il prend grand soin, et qu’il aime, sans pour autant se souvenir de son prénom...
Pour le reste, on s’en doute, pour l’Irak comme pour l’Afghanistan, c’est la vie dure et violente du quotidien d’hommes qui parfois ne savent plus trop bien contre qui ni pourquoi ils se battent. « Pour moi l’Irak est en voie d’afghanisation, affirme Serge Michel, à ce sujet. L’Afghanistan a touché le fond, alors que l’Irak n’a pas terminé sa descente. Je ne vois pas comment ça pourrait être différent. La résistance [à l’occupation américaine] va se déchirer, prédit-il. Les sunnites entre eux, et les chiites entre eux, vont se déchirer. » Enfin, parlant des Américains, le reporter n’a pas d’autres mots que : « Ça manque de sérieux. On est dans l’amateurisme. »