Mauritanie : terre de tous les passages

jeudi 25 septembre 2008, par France-Isabelle LANGLOIS

Toutes les versions de cet article : [English] [français]

A priori, l’importance de la Mauritanie dans la valse des nations apparaît insignifiante. Pourtant, l’Union européenne, avec en tête des pays comme l’Espagne et la France, accorde beaucoup d’attention à ce petit carré de sable. La position géopolitique de la Mauritanie est stratégique. Ici, lutte contre l’immigration clandestine et aide au développement se confondent.

Historiquement terre des caravanes, la Mauritanie est aujourd’hui la terre de tous les trafics illicites : drogues, armes et humains. Ce dernier trafic atteint de tristes sommets depuis 2005, alors que les contrôles se sont resserrés sur le Maroc. Les Canaries sont à 800 cent kilomètres de la côte.

Dans un article intitulé Réfugiés de la faim, paru dans Le Monde diplomatique de mars 2008, l’ex-rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, écrivait : « On estime que, chaque année, quelque 2 millions de personnes essaient d’entrer illégalement sur le territoire de l’Union européenne et que, sur ce nombre, environ 2 000 périssent en Méditerranée, et autant dans les flots de l’Atlantique. Leur objectif est d’atteindre les îles Canaries à partir de la Mauritanie ou du Sénégal, ou de franchir le détroit de Gibraltar au départ du Maroc. »

Pour l’heure, tel que le reconnaît le ministère des Affaires étrangères espagnol, peu de Mauritaniens sont au nombre des migrants désespérés. Il s’agit surtout de Sénégalais et de Maliens qui tentent leur chance à partir de la Mauritanie. Selon le gouvernement espagnol, en 2006, 47 685 migrants africains sont parvenus à atteindre ses côtes.

C’est évidemment la pauvreté qui lance ces personnes dans une telle aventure, et notamment « la destruction rapide des communautés de pêcheurs sur les côtes atlantique et méditerranéenne du continent », tel que le souligne Jean Ziegler. L’état d’endettement des États côtiers africains les pousse à vendre leurs droits de pêche aux Japonais, Européens et Canadiens. Les conserves de ces derniers sont ensuite revendues sur les marchés africains.

L’Europe s’inquiète

C’est en raison de cet afflux de clandestins que l’Espagne et la France, et par conséquent l’Union européenne, s’intéressent de près à la Mauritanie. Le budget annuel de la Mauritanie est près d’un milliard de dollars et accuse chaque année un déficit d’environ 60 millions. La Mauritanie est pauvre : elle occupe le 137e rang des 177 pays classés par le Rapport mondial sur le développement humain de 2007-2008, avec un produit national brut par personne de 406 $ US (2004). L’augmentation du prix des denrées de base l’a durement affectée. 70 % de sa consommation alimentaire et énergétique dépend de l’importation. Le pays possède certes quelques gisements miniers, mais tous sont exploités par des compagnies étrangères, dont plusieurs entreprises canadiennes.

La France compte octroyer 150 millions de dollars d’ici 2010, mais elle a gelé son aide, en raison du coup d’État du 6 août, et l’Union européenne menace de faire de même.

La Mauritanie compte parmi les 11 pays subsahariens prioritaires du Plan 2006-2010 pour l’Afrique de la coopération espagnole, en raison même de sa position géostratégique et du besoin pour l’Espagne de défendre « ses » intérêts sur le territoire mauritanien, nommément la pêche et l’immigration. L’Espagne a presque triplé son aide à la Mauritanie ces dernières années.

Dans un champ de mines

La majorité des clandestins qui dans la nuit noire s’élancent sur des pateras à l’assaut des flots, dans l’espoir de rejoindre vivants les Canaries, le font à partir de Nouadhibou, au nord du pays, « chef-lieu de l’émigration clandestine sauvage ». En 2006, le gouvernement espagnol y a financé la conversion d’une ancienne école en centre de rétention, dans le cadre du programme de « défense des frontières extérieures de l’Europe » de l’agence militaire de l’Union européenne, Frontex. La Mauritanie est signataire d’un accord avec celle-ci, selon lequel elle accepte sur son territoire : avions, hélicoptères, bateaux et militaires européens. À elle, également, le soin de « gérer » les candidats au départ interceptés. Près de 19 000 individus ont été reconduits à la frontière sénégalaise ou malienne depuis deux ans.

Rencontré en février en Mauritanie, un travailleur de la Croix-Rouge internationale décrivait l’état d’insalubrité des cellules du centre de Nouadhibou et rapportait qu’on y trouvait parfois des individus venus d’aussi loin que l’Afghanistan. À cette même période, une délégation d’Amnistie internationale (AI) se rendait sur le terrain pour témoigner de la situation. Son rapport, Mauritanie : « personne ne veut de nous » Arrestations et expulsions collectives de migrants interdits d’Europe, est accablant.

Le centre de rétention de Nouadhibou n’a pas de nom officiel, ce qui pour AI confirme l’absence de caractère légal. La population locale le surnomme le Guantanamito. En outre, plusieurs des migrants interviewés par AI disent avoir rejoint la Mauritanie après avoir été abandonnés par les autorités marocaines dans une zone surnommée Kandahar. Situé à la frontière du Sahara occidental et de la Mauritanie, ce coin de désert est truffé de mines.

Enfin, la Mauritanie étant elle-même terre d’immigration pour de nombreux ouest-africains, les migrants rêvant d’Europe bénéficient ainsi d’un réseau social et familial sur place les appuyant au cours de leur transit. Il est à prévoir que le phénomène n’ira qu’en s’amplifiant, ce qui risque d’aggraver les tensions sociales déjà fort présentes entre population maure et population noire en Mauritanie. L’immigration clandestine est aussi un business qui en fait vivre plus d’un. Comme pour les pêcheurs sénégalais, elle constitue une source importante de revenus pour les soldats mauritaniens. Ce qui expliquerait que plusieurs d’entre eux possèdent une Mercedes, malgré leur solde de 150 $ par mois.

Si les Européens stoppent leur aide le temps du « retour à la légalité constitutionnelle », parions que les 580 $ millions prévus pour lutter contre l’immigration clandestine ne seront pas gelés…


L’auteure est directrice adjointe des programmes de Droits et Démocratie.

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Partagez cet article sur :

  •    
Articles de la même rubrique

Volume 15 - No 2 - Octobre

Violence et statu quo en Algérie

Articles du même auteur

France-Isabelle LANGLOIS

Militante pour la vie

Articles sur le même sujet

Afrique

La crise au Sénégal : 3 constats

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca