
Découvrir Haïti sous la forme d’un journal qu’ont entretenu deux femmes pendant plus de 15 ans, voilà ce que nous offre Matoubor. Quel que soit leur emploi du temps, quelle que soit la conjoncture politique, quel que soit le pays où elles se trouvent, elles ne peuvent échapper à Haïti. Haïti est toujours en trame de fonds, Haïti le destin irrévocable, le lieu de la dernière rencontre. Haïti ce terrain miné. Haïti la précieuse. « Et le départ avec un retour quelque part, c’est toujours vers Haïti. »
Cécile Marotte est de nationalité française, Toto Bissainthe est haïtienne ; la première est docteure en philosophie mais surtout coopérante nomade qui a vécu en Algérie, en République dominicaine, à Porto Rico et qui, bien plus tard, s’intéressera aux effets psychologiques de la dictature sur les individus. Toto est une artiste qui a vécu 30 ans en France et performé dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe. Sa discographie compte trois disques, elle a à son actif plusieurs films et maintes pièces de théâtre, autant de spectacles.
Au gré de leurs amitiés, de leurs départs et retours d’Haïti, elles tentent d’apprivoiser le pays sans toucher à la politique, mais leurs efforts sont vains. Elles souffrent de ce qu’Haïti devient, de leur impuissance vis-à-vis des événements perturbant la paix et cette si fragile démocratie, de l’insécurité grandissante, des changements de gouvernement, de la « dure fragilité de l’existence quotidienne ». À travers l’art, comme en venant en aide aux réfugiés haïtiens venus établir domicile à Porto Rico, elles apprivoisent Haïti : « Ce que nous voulions, c’était y vivre en y travaillant, et nous intégrer au changement d’emblée promis et supposé après le départ des Duvalier. Mais ne voulions-nous pas y vivre aussi et un peu comme avant en “ recollant ” les bons souvenirs du passé avec un nouveau présent, que l’on voulait immédiatement différent, transformé, en voulant surtout faire l’économie de l’examen de 30 ans d’exercice de la dictature sur les mentalités ? »
Le récit de leur vie gravite autour des années de dictature duvaliériste et l’entrée en scène de Jean-Bertrand Aristide. Il s’achève en 1994 avec la mort de Toto. Deux ans plus tard, un parc de Montréal dans le Mile-End portait le nom de Toto Bissainthe en mémoire de cette artiste aux multiples talents.