Ce samedi 14 avril, neuf ans après ce jour funeste où le parti libéral de Jean Charest remportait le pouvoir, la Coalition large de l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante invite l’ensemble de la société civile à s’opposer à un mouvement de fond sans précédent qui remet en cause l’héritage des luttes sociales menées au Québec depuis des décennies. Il ne s’agit pas d’un combat corporatiste. Nous avons toutes les raisons de nous joindre, et par dizaines de milliers, à cette grande rencontre. Écoutons l’appel des étudiants.
Depuis neuf ans, nous avons assisté à une remise en cause radicale d’un modèle politique, celui d’une société capable de se distinguer par l’importance qu’elle accorde à la justice sociale. La délibération publique entre gauche et droite serait parfaitement légitime si le gouvernement actuel n’exacerbait pas la polarisation entre les deux, ce qui donne lieu aux fausses polémiques dont le bien commun est la première victime. Il faut réagir.
Une vacance de la construction
Cette semaine, avec le courage politique que nous lui connaissons, Jean Charest s’en est pris aux étudiants depuis le Brésil. Loin des yeux, loin du cœur ? Non, juste cette étrange volonté de diriger un pays à distance, pour éviter d’y voir clair…et de répondre de ses actes. Tel un petit Jupiter du haut de l’Olympe, il brandit sa foudre vers les pauvres mortels qui osent braver son autorité. Espérant effrayer les jeunes, il sonne la fin de ce qu’il a toujours vu comme une simple récréation.
Pour Jean Charest et Line Beauchamp, la grève n’est pas le fait d’instances démocratiques. Il ne leur reste plus qu’à pousser ce raisonnement jusqu’à l’absurde : s’il ne s’agit pas d’une grève, disent Charest et Beauchamp, mais d’un mouvement illégitime, alors toute action menée par les étudiants participe à une intimidation qui ressemble selon eux de très près aux troubles vécus sur les chantiers de construction. Troublante comparaison. Ou le ridicule ne tue pas, ou nous sommes gouvernés par des morts-vivants. La grève étudiante fut pour le gouvernement Charest une vacance de la construction : elle lui a permis de dissimuler ses propres vicissitudes derrière un paravent de vertu. Après avoir fermé les yeux sur le problème de la corruption, après avoir repoussé tant et plus une commission d’enquête sur la construction, Jean Charest se veut aujourd’hui le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Les gaz lacrymogènes nous aideront peut-être ici à verser une petite larme.
Les trois armes de la frayeur
Il n’y a pas de fumée sans fumiste. Le gouvernement veut triompher contre les associations étudiantes en les effrayant, et pour cela, il dispose d’un arsenal tantôt pathétique, tant impressionnant.
Première arme de la frayeur à la mode Charest, mais jusqu’ici bien peu efficace : la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp. Prête à parler sur toutes les tribunes, mais jamais avec les étudiants, la ministre invite au vote secret. Elle semble comprendre toute cette grève comme une campagne de peur, dont seraient victimes la majorité silencieuse. Comme si la manifestation du 22 mars avait réuni les seuls exaltés de la cause, et n’attestait pas la solidarité profonde du mouvement étudiant, malgré toutes les tentatives pour les diviser. Certes, ce serait stupide de le croire, tous les votes de grèves ne se sont pas déroulés sans problèmes. Or, il est utopique d’espérer un retour du balancier par le seul vote secret, surtout à l’heure actuelle, où le gouvernement a lui-même et en toute connaissance de cause radicalisé les étudiantes et les étudiants.
Deuxième arme de frayeur massive, le recours aux tribunaux. Charest a clairement pavé la voie pour dépolitiser la confrontation avec le mouvement étudiant. Un des derniers épisodes en date, et pour moi l’un des plus sombres de ma carrière au sein de cette auguste institution, fut l’injonction provisoire obtenue cette semaine par l’Université de Montréal. La Cour supérieure du Québec a ordonné aux associations étudiantes et à toute autre personne de ne pas bloquer l’accès aux bâtiments du campus et aux salles de classe. Un tel geste est clairement disproportionné : la grande majorité des activités orchestrées par les étudiants ont été faites avec respect et discipline. En réalité, l’injonction risque de mettre le feu aux poudres. Personne ne peut souhaiter une telle chose, sauf ceux qui espèrent voir le mouvement étudiant se discréditer de lui-même. De leur côté, la direction des universités et notre gouvernement n’ont plus une telle pudeur depuis bien longtemps.
Décerveler la population
J’en arrive à la troisième arme de Jean Charest et de ses amis, mais cette liste n’est pas exhaustive : le basculement de l’opinion publique. Pourquoi ce gouvernement s’entête-t-il envers et contre tout ? Précisément parce qu’il croit qu’une bonne partie de la population est derrière lui, et qu’elle est prête à tout oublier, y compris les baillons à répétition, le cafouillage des accommodements raisonnables et surtout, la collusion du financement des partis politiques et le vaudeville de la corruption. Déjà excitée par les diatribes des démagogues et autres Ubus de la phynance, on veut décerveler la population pour lui faire avaler la suite des choses. La grève étudiante n’est peut-être pas un enjeu électoral, mais elle offre aux libéraux une occasion de se remettre en selle. Elle leur offre l’opportunité de réaliser leur vaste programme de « juste part », où la cible réelle est l’ensemble des secteurs publics. De complètement désespérés au départ, il suffirait maintenant de seulement quelques semaines aux libéraux pour déstabiliser les avancées du Parti Québécois. Essayons d’imaginer ce que serait un Québec dirigé encore quatre ou cinq ans par les Libéraux.
Le Canada connaît de nombreux changements de ses mœurs politiques en ce moment. Les dernières élections fédérales ont montré à quel point le Québec se refuse à cette révolution conservatrice. Mais serons-nous capables de la repousser également si son inspiration vient du Québec, et non d’Ottawa ? Il y a peu de choses en commun entre le gouvernement d’un Harper et celui d’un Jean Charest. Les deux procèdent toutefois de la même manière : affaiblir peu à peu toute forme d’opposition à leur politique pour ensuite gouverner comme bon leur semble. Le 14 avril prochain, si nous sommes vraiment une société distincte, distinguons-nous ! La lutte des étudiantes et des étudiants est notre lutte. Ils nous ont prouvé leur solidarité. À nous de leur rendre justice.