WINNIPEG - Même si la capitale manitobaine abrite le plus haut taux d’autochtones au pays, leur intégration demeure très difficile. Quotidiennement, plusieurs d’entre eux sont confrontés à l’itinérance et l’exclusion.
« La police agit de manière très raciste à notre égard et ne prévient pas la violence », estime George Monroe, membre du Aboriginal Concil de Winnipeg. En 2005, un autochtone de18 ans a été abattu pour avoir menacé un policier avec un tournevis. Bien que le policier ait été blanchi, la communauté ne se sent toujours pas protégée par les autorités.
De plus, les forces de l’ordre prennent à la légère les assauts que subissent les non-Blancs. Quand Félicia Solomon, de la communauté crie, est disparue, c’est sa famille qui a lancé les premiers avis de recherche et non la police, qui ne voyait pas la nécessité d’agir. Les morceaux du corps de l’adolescente de 16 ans ont été retrouvés trois mois plus tard. L’assassin court toujours. Trois décennies auparavant, la cousine de Félicia, Helen Betty Osborne, avait subi un sort semblable.
« Les autorités policières se comportent très mal avec la population métis et autochtone, explique Gino Distasio, directeur de la Chaire de recherche en études urbaines à l’Université de Winnipeg. La police établit un lien entre le phénomène des gangs de rue à l’arrivée des autochtones à Winnipeg, mais je n’achète pas cette théorie. »
Tiers-monde canadien
La proportion d’autochtones qui ont quitté leur réserve pour rejoindre les centres urbains est passée de 7 % à 50 % en moins d’un demi-siècle. « Ça s’est fait très rapidement, relate M. Distasio. Les raisons qui poussent les autochtones à se déplacer vers les grandes agglomérations sont extrêmement complexes. » Peter Kulchyski, professeur au département d’études autochtones à l’Université du Manitoba, soutient quant à lui qu’il est très avantageux pour le gouvernement fédéral de vider les réserves en raison du coût élevé des droits ancestraux.
« La population se déplace vers les villes pour y trouver de l’emploi et de l’éducation, mais le chômage et les carences au sein des institutions scolaires ne se font pas ressentir uniquement dans les réserves. C’est une problématique présente dans la majorité des zones rurales manitobaines », nuance M. Distasio. Il précise également que le Manitoba ne renferme que 1,2 million d’habitants et que près de 700 000 occupent la région de Winnipeg. « L’exode rural est un phénomène très fort ici, ajoute Julie Malette, intervenante auprès des jeunes sans-abri de Winnipeg. Les provinces du centre sont très pauvres comparativement à l’Ontario, l’Alberta ou le Québec. »
Les réserves se vident parce qu’elles ne parviennent pas à répondre aux besoins de base des Premières Nations, qui affichent pourtant la plus forte croissance démographique au Canada. Les familles s’entassent dans des petits logements surpeuplés dont la majorité sont contaminés par des moisissures. Près de 12 % des collectivités doivent faire bouillir leur eau avant de la boire puisque les infrastructures hydrauliques sont exposées à un risque élevé de contamination. Certaines habitations n’ont même pas de systèmes d’égouts.
« À la pauvreté matérielle, s’ajoutent la toxicomanie, le suicide des jeunes (dont le taux est deux fois plus élevé que chez le reste de la population canadienne) et le décrochage scolaire, renchérit Julie Malette. De nombreuses femmes subissent des agressions sexuelles. Le syndrome d’alcoolémie fœtale est également très répandu. »
Forcés de devenir Blancs
Pour un autochtone, se réfugier dans une ville signifie perdre son identité et son sentiment d’appartenance. « Quand tu sors de la réserve, tu perds tous tes privilèges, soulève George Monroe. On t’enlève même ton statut [...] Ce que l’État canadien veut, c’est que je devienne un Blanc. J’habite Winnipeg, mais je suis né dans une réserve et on m’a dépossédé de mes racines. J’ai marié une femme blanche donc mes enfants ne seront jamais considérés comme membres des Premières Nations. Leur héritage paternel n’existe plus. »
Vider les réserves n’est pas un projet contemporain. Dans le livre The Dispossessed, le journaliste Geoffrey York relate qu’« entre 1965 et le début des années 80, près de 3000 enfants autochtones ont été arrachés à leur domicile familial pour être placés dans des familles blanches et urbaines. » Les nouveaux foyers se situaient généralement aux États-Unis où des agences d’adoption permettaient à des couples bien nantis d’adopter un autochtone moyennant une somme pouvant atteindre quatre milles dollars. Les traditions autochtones, principalement en matière d’éducation des enfants, n’ont jamais été considérées dans ce processus d’éradication. « Cet événement a créé un important écart intergénérationnel à l’intérieur des communautés », analyse le Peter Kulchyski.
« Avec les politiques coloniales d’assimilation qui ont été mises en place au cours de l’histoire, on ne sait plus à qui on appartient », explique M. Monroe. Ne parlant pas leur langue natale et ne possédant plus de liens avec leur peuple sinon une couleur de peau, plusieurs de ces enfants adoptés ont opté pour l’anonymat des grandes villes.
À l’assimilation s’ajoute la dépendance. Tout le système des réserves relève de la tutelle du pouvoir fédéral. La relation État/Premières Nations est condescendante et infantilisante, estime Gilbert Vielfore. « Le problème ne se résume pas uniquement par un manque d’argent, explique-t-il. C’est plus profond que ça. Ils ne savent pas la gérer ni comment demander l’aide. Les sans-abri autochtones sont beaucoup plus difficiles à aider que les autres. » Dans son livre Enough to Keep Them Alive : Indian Welfare in Canada, l’auteur Hugh Shewell conclut que cette dépendance est « le résultat de politiques pour supprimer la culture et la souveraineté politique des Premières Nations ». Et M. Kulchyski de soutenir : « Je n’ai aucun doute, le Canada a commis un génocide culturel. »