Darwich est né le 15 mars 1941 dans le village d’Al-Barweh, dans ce qui est maintenant la Galilée en Israël. À l’âge de six ans, sa famille a dû s’enfuir pour le Liban en raison d’une attaque israélienne contre son village. L’année suivante, lorsqu’ils voulurent retourner dans leur terre natale, ils constatèrent que leur village avait été rasé et que deux colonies avaient été érigées. Ils finirent par s’installer à Deir al-Asad, en Galilée.
Darwich a publié son premier recueil, Rameau d’olivier, en 1964. Il incluait un de ses plus fameux poèmes, Identité. Ce poème, qui donne une voix aux Palestiniens face aux autorités israéliennes, commence ainsi :
Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d’enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l’été !
Et te voilà furieux !
. . .
Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as raflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
... à ce que l’on dit !
Mahmoud Darwich a décrit de manière probante l’expérience de son peuple : l’exil, l’occupation, la dépossession. Selon la poète Naomi Shibab Nye, Darwich était « le souffle nécessaire au peuple palestinien, le témoin éloquent de l’exil et de l’appartenance ».
Darwich a aussi écrit la déclaration d’indépendance que Yasser Arafat a lue aux Nations unies en 1974. « Aujourd’hui, je tends une branche d’olivier et un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas ma branche tomber de mes mains. » Sa poésie et sa prose ont favorisé l’émergence d’une identité nationale palestinienne. Selon l’anthropologue palestinien Ali Qleibo, qui enseigne à l’Université al-Qods de Jérusalem, « il était le miroir de la société palestinienne ».
Décrivant ce qui rend Darwich si spécial pour les Palestiniens, Adila Laidi-Hanieh, ancienne directrice du centre culturel Khalil Sakanini, explique « que la chose la plus importante à propos de lui, c’est qu’il maintient une impeccable intégrité morale, ainsi qu’une autorité politique et intellectuelle ».
Darwich n’était pas seulement un poète critique, mais aussi un militant. Jeune homme, il a été emprisonné pour ses activités politiques et pour avoir publiquement lu sa poésie. Il a joint le Parti communiste officiel d’Israël, le Rakah, dans les années 1960. En 1970, il s’envole pour l’URSS. Il étudie à l’Université de Moscou et on lui retire sa nationalité israélienne. Il déménage au Caire l’année suivante. Il joint en 1973 l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). Il est alors interdit en Israël. Il est élu au comité exécutif de l’OLP en 1987, mais il démissionne en 1993 après les Accords d’Oslo. Darwich critique à la fois l’occupation israélienne et le leadership palestinien. Il dénonce les luttes fratricides entre le Hamas et le Fatah, qu’il décrit comme « une tentative publique de suicide dans les rues ».
Sa poésie crée des remous en Israël. En 1988, le premier ministre Yitzhak Shamir cite un poème de Darwich au Parlement israélien, P{}assants parmi des paroles passagères, pour démontrer que les Palestiniens ne sont pas disposés à vivre avec les Juifs.
En mars 2000, Yossi Sarid, le ministre israélien de l’Éducation, propose que des poèmes de Darwich soient enseignés dans les écoles israéliennes, parce qu’il est « très important que l’on se connaisse ». Toutefois, l’opposition du Likoud, qui menaçait de présenter une motion de défiance, a forcé le gouvernement d’Ehoud Barak à rejeter ces propositions en soutenant qu’Israël n’était « pas prêt ».
Mahmoud Darwich a commenté ce débat en disant qu’« il est difficile de croire que même le pays le plus fort militairement au Moyen-Orient se sente menacé par un poème ».
Les politiciens de la droite israélienne voient son œuvre comme antiisraélienne en citant notamment son essai concernant le 50e anniversaire de la création d’Israël. Darwich mentionnait que cet État avait été fondé sur une double injustice : la dépossession et l’occupation.
Malgré tout, certains des poèmes les plus mémorables de Mahmoud Darwich brossent un portrait de « l’Autre, l’Israélien ». Dans Le Soldat qui rêvait de lys blancs, Darwich parle d’un soldat israélien qui décide de quitter son pays après la guerre de 1967 :
Je quête un enfant souriant au jour
Non une place dans la machine de guerre
Je suis venu ici vivre le lever des soleils
Non leur coucher
Rédigé à chaud, en 1967, ce poème montre le pacifisme qui anime le poète. Il fait par contre scandale aussi bien en Israël que du côté palestinien. Darwich a déjà parlé des réactions polarisées suscitées par ces vers : « Le secrétaire général du Parti communiste israélien a dit “comment se fait-il qu’il écrive ce genre de poème ? Est-ce qu’il nous demande de quitter le pays pour devenir des amants de la paix ?’’ Et pendant ce temps, les Arabes affirment : “comment ose-t-il humaniser un soldat israélien ?’’ »
De son vivant, ce grand poète n’a pas réussi à rapprocher les deux parties et à favoriser le dialogue. En sera-t-il autrement maintenant ?