Lutte syndicale aux États-Unis chez Quebecor World

lundi 18 octobre 2004, par France-Isabelle LANGLOIS

Quebecor World est le deuxième plus grand imprimeur au monde. La multinationale compte 160 imprimeries dans 17 pays à travers le monde, pour un total de 37 mille employés. Aux États-Unis, on compte 7 imprimeries, soit 3 200 employés. Ceux-ci ont entrepris de se syndiquer au sein de la Graphic Communications International Union(GCIU) en décembre 2003. À ce jour, ce syndicat représente 7 000 travailleurs de Quebecor au Canada et aux États-Unis. Mais chez nos voisins américains, la lutte est loin d’être terminée et prend parfois les allures des luttes ouvrières du XIXe siècle ou alors du tiers monde.

Dans la petite ville de Versailles, au Kentucky, les 800 travailleurs de l’imprimerie Quebecor World tentent toujours de se syndiquer alors qu’ils sont continuellement intimidés et menacés par leurs patrons. La plupart ont peur de s’afficher en faveur de la syndicalisation, et s’ils la souhaitent, n’en cultivent pas moins la crainte de perdre leur emploi le cas échéant. De fait, les patrons de la filiale québécoise du Kentucky ont institué un climat de peur par d’innombrables petits gestes d’intimidation allant jusqu’au congédiement pour cause d’activité syndicale.

Visite à Montréal

En août dernier, des membres du Conseil des droits des travailleurs du Kentucky et de l’organisation de défense des droits des travailleurs, Jobs with Justice, sont venus à Montréal pour y défendre la cause des employés de Quebecor World aux États-Unis, afin d’obtenir un soutien de la part non seulement des organisations syndicales, mais également de la population et des médias québécois.
Or, lundi 28 août, sur l’heure du midi, une manifestation était organisée devant le siège social de Quebecor.

Quelques dizaines de personnes seulement s’y sont rassemblées. Rien, bien sûr pour émouvoir de quelque façon Pierre-Karl Péladeau ou le président du Conseil d’administration de la multinationale, l’ancien premier ministre du Canada, Brian Mulroney. Mais apparemment, ce n’était rien non plus pour susciter une quelconque curiosité de la part des médias, qui au mieux et dans de très rares occasions, n’ont rapporté que brièvement le fait qu’il n’y avait pas grand monde à ladite manifestation.

Qu’il y ait eu ou non plusieurs personnes lors de ce rassemblement, n’aurait pas dû occulter pour autant le combat de ces hommes et femmes du Kentucky qui tentent difficilement de se syndiquer alors que leur patron les en empêche. Un patron qui, en bout de ligne, est québécois.

Droits élémentaires

Par ailleurs, les raisons qui poussent ces hommes et ces femmes à se syndiquer - dans le pays occidental le plus hostile au syndicalisme -, sont simples et élémentaires. Que leurs droits fondamentaux soient respectés, préservés et défendus. Ils demandent un environnement de travail qui soit sécuritaire, une assurance santé de qualité à coûts raisonnables. Et bien sûr, que soit reconnu leur droit de s’organiser syndicalement. Ce sont des revendications qui sont d’une autre époque pour le Québec, ou d’un autre monde, d’Asie ou d’Amérique latine par exemple. Ils ne se battent pas encore pour de meilleures salaires ou plus de congés payés.

Depuis 1996, le gouvernement américain a reconnu plus de 325 cas de violations en matière de sécurité au travail de la part des dirigeants de Quebecor World sur le territoire américain : exposition à des matières toxiques et dangereuses, risques sévères d’incendies et machinerie non sécuritaire parce que soit les verrous de sécurité sont inadéquats soit simplement brisés et non réparés. La compagnie détiendrait l’un des pires bilans en matière de sécurité et santé au travail, aux dires de l’organisateur syndical de la GCIU, Bert Haft. Les cas de doigts ou de mains coupés sont plus que fréquents. Certains travailleurs, victimes de graves accidents sur leur lieu de travail, en raison de la négligence des patrons, en perdent carrément leur emploi. Handicapés à vie, ils ne bénéficient, le plus souvent, d’aucune couverture sociale.

Congédié

Carl Rodgers de l’imprimerie de Covington au Tennessee a été congédié pour activité syndicale et parce qu’il refusait de jouer les indicateurs et de forcer ces collègues à arrêter le processus de syndicalisation. En mai 2004, Rodgers s’est rendu à l’Assemblée annuelle de Quebecor qui se tenait à Montréal. Il a alors interpellé le président, Brian Mulroney, sur son cas et tant d’autres semblables. L’ancien premier ministre a bien entendu répondu que cela était inacceptable et a invité l’ancien opérateur de presse à déposer une plainte auprès du gouvernement américain. Ce qui a été fait, avec l’appui du Conseil national des relations du travail (National Labor Relations Board - NLRB). Mais ni Brian Mulroney ni Pierre-Karl Péladeau ne se préoccupent davantage des conditions de travail et du respect des droits de leurs travailleurs américains. Aucun geste concret n’a été posé contre l’attitude anti-syndicale des dirigeants de leurs filiales américaines. Ce qui n’empêche pas la compagnie de se vanter sur son site Internet d’être parmi le plus avancées sur le plan technologique, et parmi les plus innovatrices et socialement responsables, de par le monde.

Kerry écrit à Péladeau

L’une des membres du Conseil des droits des travailleurs du Kentucky, qui était de passage à Montréal en août, Joni Jenkins, également députée au niveau de l’État du Kentucky, a résumé la situation en ces termes : « Les employés de Quebecor World de l’imprimerie de Versailles ne méritent pas moins que les employés du siège social de Quebecor à Montréal. » Elle a expliqué du même coup, que la campagne en faveur de la syndicalisation des travailleurs de Quebecor World à travers les États-Unis, Justice@Quebecor, bénéficiait surtout du soutien des Églises, seul lieu de rassemblement communautaire encore existant là-bas. Mais également de quelques membres du Parti Démocrate, dont le sénateur John Kerry, candidat à la présidence des États-Unis lors des élections du 2 novembre, contre George W. Bush. Kerry, en février 2004, de passage à Convington au Tennessee et lors d’une intervention publique, avait invectivé la direction de Quebecor à rester neutre lorsque ses employés décident de se syndiquer. En juin, le sénateur a écrit personnellement une lettre adressée à Pierre-Karl Péladeau, lui faisant part de ses inquiétudes quant aux pratiques des dirigeants du plan du Mississippi, qu’il décrivait comme étant des « violations claires des droits garanties par le National Labor Relations Act ».

À la question, si Kerry est élu, est-ce que cela aidera à la syndicalisation des employés de Quebecor World ? Joni Jenkins, comme le révérend John Raush, les deux ou trois employés et les quelque membres de Jobs with Justice qui avaient fait le voyage de Montréal, ont répondu oui, mais un oui timide. Il n’empêche qu’une élection du candidat démocrate le 2 novembre, changerait surtout la donne sur des petits détails de la politique intérieure comme celui-là, à défaut de pouvoir réalistement retirer les Marines d’Irak.

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