Lutte au VIH-sida en Afrique du Sud

mercredi 25 janvier 2006, par François L’ÉCUYER

La présente épidémie du VIH-sida est certainement le plus grand défi auquel est confronté la population sud-africaine à l’heure actuelle, en particulier les femmes, premières victimes de cette terrible maladie. Les estimations du gouvernement sud-africain élèvent le nombre de séropositifs à plus de 4 millions. Lorsque l’on s’attarde à la tranche d’age 19-44, on constate qu’entre 28 et 34% de la population est porteuse du virus. Malgré les récents engagements du gouvernement sud-africain à distribuer des médicaments génériques à moindre coût pour les personnes en besoin, la lenteur de la mise sur pied de ce programme et l’ampleur du travail à accomplir nous indiquent que les initiatives communautaires des femmes d’Orange Farm doivent être soutenues.

Liées par un grand esprit de solidarité communautaire, les femmes sud-africaines aux prises avec le sida ont démontré une grande capacité créatrice dans leurs projets d’entraide et de réduction de la pauvreté. Des programmes de création d’emploi et d’activités génératrices de revenus ont permis à de nombreuses femmes, y compris celles séropositives, de devenir économiquement indépendantes. Les initiatives de jardins communautaires ont été d’une grande importance afin de réduire les taux de malnutrition ainsi que l’impact du Sida sur la santé des personnes séropositives - tout en procurant un revenu régulier pour les gens travaillant aux jardins. Et, plus que tout, la mise sur pied d’équipes volontaires de soins à domicile par et pour les séropositifs ont eu un impact majeur au sein de la communauté en termes d’éducation, de prévention et de sensibilisation au VIH-sida - en plus de réduire considérablement les souffrances des personnes en perte d’autonomie. En les impliquant directement dans l’économie sociale d’Orange Farm, ces organisations ont démontré que les sidéennes et sidéens sont des acteurs incontournables du développement socio-économique de leur communauté.

Méthodologie

Le présent projet vise à réintégrer les communautés historiquement marginalisées, tout particulièrement les femmes séropositives et leur famille, au sein d’activités sociales et économiques en vue de réduire la pauvreté. Ce projet est divisé en trois composantes :

 Soins à domicile pour sidéen(ne)s en perte d’autonomie ;
 Sécurité alimentaire en milieu urbain ;
 Appui au secteur privé, création d’emplois et d’activités génératrices de revenus

Le cadre méthodologique dirigeant le programme repose sur trois prémisses :

 Dans une large mesure, l’exclusion sociale des personnes vivant avec les Sida affecte les campagnes de sensibilisation et de prévention de façon très négative. Les partenaires d’Alternatives en Afrique du Sud applique une approche diamétralement opposée, en encourageant la participation active des personnes séropositives dans les campagnes d’éducation populaire. Intégrer les personnes vivant avec le Sida au sein des campagnes de prévention est une première étape, qui est suivie par l’intégration des séropositifs dans le travail de soins à domicile et de création d’emplois. De cette façon, la communauté reconnaît toute l’importance de se préoccuper de ses malades en perte d’autonomie et de traiter ceux-ci. Après les avoir réintégrés au sein de leur communauté, après avoir combattu les stigmates associés au VIH-sida, les campagnes d’éducation et de prévention peuvent avoir un réel impact à long-terme ;
 En remettant en question la notion voulant que la crise du Sida aura des effets désastreux sur la croissance économique, les associations de femmes séropositives d’Orange Farm agissent en tant que réels acteurs du développement socio-économique. Cuisines populaires et jardins communautaires, en plus de répondre aux besoins nutritifs des sidéen(ne)s, participent également à la création d’emploi et de revenus parmi la communauté. Les coopératives d’artisanat, de couture et de tricot d’Orange Farm, mises sur pied par les femmes sidéennes, ont attiré le support de la communauté entière, créant ainsi de vastes et dynamiques réseaux répondant aux multiples facettes de la crise issue de la pauvreté. Ces expériences méritent d’être soutenues afin qu’une plus grande partie de la population d’Orange Farm puisse en bénéficier
 Modes de vie durables et initiatives de développement communautaire peuvent procurer un squelette important à la stabilité durable des communautés affectées par la crise du Sida et de la pauvreté. En mettant l’emphase sur des activités qui proviennent des ressources et des connaissances locales (agriculture organique, recyclage et réutilisation de matériels) et qui ne mettent pas en danger l’environnement, ces activités peuvent être facilement renouvelables et transférables. De plus, en intégrant les aspects sociaux, économiques et environnementaux de la génération de revenus, l’approche des modes de vie durables peut se développer à partir des capacités locales existantes, sans mettre en danger les ressources sur lesquelles ces modes de vie dépendent. En identifiant, de concert avec les populations bénéficiaires, les moyens existants pour créer richesse et revenus sans ruiner l’accès futur aux ressources locales, nous pouvons briser le cercle endémique de la pauvreté.

Activités

Le présent projet vise à réduire l’impact de trois crises auxquelles les femmes séropositives d’Orange Farm sont confrontées : la crise du Sida, l’insécurité alimentaire et le manque de revenus familiaux.

1. Soins à domicile pour sidéen(ne)s en perte d’autonomie. Cette première composante vise à renforcer les capacités des organisations communautaires qui procurent des services à domicile pour sidéens et sidéennes en perte d’autonomie - Let Us Grow et Inkhanyezi HIV-AIDS Team. En visitant tour à tour les malades, leurs équipes de bénévoles réduisent amplement les souffrances de ceux-ci, en s’occupant de l’entretien ménager, de la toilette des bénéficiaires, en préparant les repas, en apportant les produits du jardin, ainsi qu’en procurant les médicaments de base aux malades.

2. Sécurité alimentaire. Lors d’une tempête de grêle à l’hiver 2003, les serres de l’organisation Itsoseng Women’s Project furent largement endommagées. Le présent projet vise à les réhabiliter et à accroître la production agricole (principalement des légumes et légumineuses) des jardins communautaires de cette organisation - notamment avec des ateliers portant sur les techniques d’agriculture organique. Aussi, un appui financier sera apporté pour les cuisines populaires du Itsoseng Women’s Project. Les plats qui y sont préparés sont distribués aux femmes sidéennes ainsi qu’aux orphelins du Sida.

3. Activités génératrices de revenus. Le manque d’accès à un revenu financier stable complique amplement la vie des femmes sidéennes. Nourriture, médicaments de base, eau potable et autres denrées essentielles étant hors d’accès, les ravages de la maladie n’en sont que plus néfastes. Les associations de sidéen(ne)s d’Orange Farm - Let Us Grow et Inkhanyezi HIV-AIDS Team - offrent à leurs membres, à travers des activités d’artisanat, de couture et de tricot, une opportunité d’augmenter leurs revenus familiaux. Le Itsoseng Women’s Project leur permet d’accroître leurs revenus par des activités de jardinage et de recyclage du verre, du papier et du plastique. Le présent projet visera à couvrir certains frais d’opération, ainsi que des ateliers de formation portant sur la commercialisation des produits.

Bénéficiaires

Ce projet viser à renforcer les activités des organisations suivantes :

Itsoseng Women’s Project : Fondée en 1998 par un groupe de femmes sans-emploi pour contrer les problèmes de malnutrition dans leur communauté, les activités de cette organisation n’ont cessé de se diversifier. Aujourd’hui, elle compte une garderie, un refuge pour les orphelins du Sida, des jardins communautaires, un centre de recyclage, une cuisine populaire, ainsi qu’un centre d’alphabétisation pour adultes. Plus de 250 personnes, en grande majorité des femmes, y travaillent sur une base régulière.

Let Us Grow : La fondatrice de Let Us Grow, Rose Thamae, fut l’une des premières femmes d’Orange Farm à déclarer publiquement son statut de sidéenne. En créant cette organisation en 1996, elle a permis à plus de 500 femmes sidéennes d’accroître leurs revenus à travers une coopérative de production : artisanat, couture, tricot. Plus de 260 membres séropositifs s’occupent de leurs concitoyens en perte d’autonomie par un programme de soins à domicile pour sidéennes et sidéens. À travers l’ensemble de ses activités, Let Us Grow participe activement aux initiatives locales de sensibilisation et de prévention du VIH-sida.

Inkhanyezi HIV-AIDS Team : Fondée en 2001, cette organisation compte sur environ 300 bénévoles séropositifs qui, par équipe de 10 couvrant différents quartiers d’Orange Farm, visitent quotidiennement près d’un millier de femmes sidéennes en perte d’autonomie afin de leur apporter les soins de base : nourriture, médicaments essentiels, entretien ménager et autres tâches domestiques.

Au-delà de ces organisations, c’est au sein de la localité d’Orange Farm que celles-ci interviennent afin de favoriser le développement économique et la réduction des souffrances des personnes atteintes du VIH-sida parmi cette communauté. Orange Farm fut fondé en 1987 : alors squatter-camp hébergeant les travailleurs provenant des régions rurales à la recherche d’emplois en milieu urbain, la population s’est rapidement accrue, au point d’atteindre 1,5 million d’habitants aujourd’hui. Malgré cette explosion démographique, le régime d’apartheid, puis le nouveau gouvernement démocratique, n’ont jamais été en mesure de procurer les infrastructures sanitaires, sociales et économiques nécessaires à une si grande population. Encore aujourd’hui, on ne retrouve aucun système d’égout, que quelques routes pavées, et aucun système de logement social (la presque totalité des maisons sont en fait des abris de fortune, construites de bois, de carton et de tôles).

Orange Farm compte parmi les localités périurbaines les plus défavorisées du Johannesburg métropolitain. Selon les études conduites par Khanya College en 2001 auprès de cette communauté, seulement 14 000 habitants ont un emploi dans l’économie formelle - soit moins de 1% de la population totale. L’extrême pauvreté, conjuguée à un taux d’infection au VIH-sida frisant les 35% parmi la population active, ne fait qu’entraîner l’ensemble de la population d’Orange Farm dans un cercle vicieux des plus dramatiques. Cette situation a également contribué aux taux élevés de criminalité, de violence conjugale et de malnutrition - tout en décuplant les effets attribués à la crise du Sida au sein de la communauté.

Les statistiques portant sur le sida en Afrique du Sud démontrent que, de plus en plus, ce sont les femmes qui sont les premières victimes de l’épidémie. Dans une communauté comme Orange Farm, les femmes représentent jusqu’à 60% des personnes infectées.

Malgré ce portrait des plus tristes, le dynamisme des équipes de bénévoles, eux-mêmes atteints du virus, et l’esprit de solidarité et d’entraide visant la pleine réintégration socioéconomique des séropositifs et sidéens, nous encourage à apporter notre appui à ces groupes.

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