Dossier minorité musulmane

Lorsque la volonté d’intégration se bute à la discrimination

jeudi 26 mars 2009, par Alykhanhthi Lynhiavu

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Les statistiques sont éloquentes. Au Québec, le taux de chômage chez les Maghrébins d’origine est de 29 % comparativement à un taux général de 7 %. La discrimination existe, et le gouvernement québécois peine à s’y attaquer avec cohérence.

Québécois d’origine maghrébine, Nacer, 50 ans, vit à Montréal depuis vingt ans. Père de famille il suit, bien malgré lui, un parcours de pauvreté. Avec une élégance et une douceur qui détonnent avec la dureté du racisme qu’il subit, il relate la discrimination dont il est victime.

En septembre, Nacer s’inscrit à un programme de formation d’agent de sécurité privée subventionné par Emploi-Québec. Se déroulant sur une période de deux mois, la formation inclut un stage de deux semaines non rémunéré. Fin novembre, il se retrouve bredouille. Il n’est pas le seul : la moitié des participants à la formation, trois Arabes et six Noirs n’ont trouvé ni stage ni emploi, contrairement aux huit Québécois de souche. Pourtant, le centre de formation se vante « d’une relation privilégiée avec les agences de sécurité » et d’un taux de placement de 100 %. Nacer résume : « Dès le début, il était clair que l’école s’engageait à nous trouver un stage et un emploi. Elle s’est engagée envers nous et envers Emploi-Québec. Les Québécois de souche n’ont eu aucune difficulté à trouver un emploi sans passer par un stage. Par contre, les “Québécois de cœur”, comme j’aimerais nous appeler, les Noirs et les collègues arabes, n’ont rien eu. »

En décembre, un agent d’Emploi-Québec assiste à la fin du cours. Les responsables de la formation, qui parlent au nom des étudiants, lui affirment que l’école a rempli ses promesses. Malgré que le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) organise de telles visites, il semble qu’il ne demande pas davantage de comptes à l’école de formation professionnelle à laquelle il alloue des subventions importantes. Est-il normal que des aides publiques continuent à être versées à ces centres de formation desquels seuls les Québécois de souche bénéficient en définitive ? Avec une pointe d’indignation dans la voix, Nacer remarque  :
«  Pensez-vous que je veuille passer deux mois à suivre un cours pour, à la fin, me retrouver dans une situation plus délicate qu’avant ? Avec un investissement financier d’Emploi-Québec, je me retrouve les mains vides, à la case départ, au bien-être social ! »

Une pétition, signée par les étudiants victimes de cette discrimination, a été présentée à l’une des responsables de l’école. Avec un collègue, Nacer lui a parlé à deux reprises. Elle leur a demandé le silence et a même tenté de «  s’arranger ». Nacer ajoute : « Avec des contrats assurés, l’école ne veut pas avoir de troubles : 2300 $ multipliés par 17, c’est beaucoup d’argent.  » Appuyé par le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), un organisme de lutte contre le racisme basé à Montréal, il a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne du Québec.

Des politiques d’aide inadéquates

S’il vise l’intégration de tous, le ministère de l’Emploi du Québec doit réévaluer ses programmes d’aide qui ne sont pas adaptés aux populations immigrantes, souvent victimes de discrimination. En général, les immigrés sont éduqués et vivent dans des ménages biparentaux. Toutefois, les programmes d’aide sont élaborés selon un « profil type », celui de la majorité québécoise où la pauvreté est associée à des familles monoparentales et à des personnes peu scolarisées, comme le montre une étude des sociologues Rachad Antonius et Jean-Claude Icart. Les programmes contribuent donc à l’exclusion systémique des nouveaux arrivants.

Ce n’est pas tout. Tandis que le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles reconnaît l’existence d’un processus d’exclusion ou de disqualification des immigrants et des minorités visibles, le ministère de l’Emploi invoque en dernière instance la responsabilité de chacun pour sortir du chômage. Les barrières ne seraient pas liées au système, mais plutôt aux carences individuelles. Ainsi, sur le site d’Emploi-Québec, le MESS présente des outils de « simulation de revenus » grâce auxquels « le prestataire de l’aide financière de dernier recours » peut évaluer « les avantages financiers à suivre un cheminement le menant à intégrer le marché du travail ». En somme, les barrières qui empêchent l’individu de se sortir du chômage seraient celles qu’il s’imposerait lui-même : une sorte de volonté de s’installer dans la pauvreté !

Les immigrants ont besoin, pour s’intégrer et trouver du travail, de programmes améliorés qui tiennent compte de leurs spécificités et d’une ouverture amicale qui aille à l’encontre du racisme. Aussi longtemps que le MESS considérera la discrimination raciale comme un objet séparé et secondaire des politiques d’aide à l’obtention d’un emploi, il y aura échec de l’intégration et perpétuation des discriminations professionnelles injustifiées. Comme beaucoup d’autres, Nacer a immigré pour améliorer ses conditions d’existence, avec la volonté de s’intégrer : «  On est tous venus ici chercher la paix et l’assurance d’un travail. Personne ne vient ici pour faire du trouble, parce qu’on est tous Québécois. Nos enfants sont témoins de cette injustice-là. Je souhaite un changement, je le souhaite de tout mon cœur. »


L’auteure est anthropologue et membre du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR)

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