À l’origine du litige, une entente qui limite la production de médicaments génériques. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (mieux connu sous le nom de l’Accord sur les ADPIC) oblige tous les pays membres de l’OMC à adopter une loi qui protège les brevets pendant 20 ans, créant ainsi un monopole sur la fabrication et la vente d’un produit trop souvent hors de prix. Chaque année, 14 millions de personnes meurent des suites de maladies comme le sida, la tuberculose et le paludisme, faute d’avoir accès à des médicaments à prix abordables.
Il existe présentement plusieurs disparités dans l’application des brevets à l’échelle internationale. Le même médicament pour guérir la pneumonie, par exemple, coûte 20 dollars US au Kenya et seulement 0,70 dollars US en Thaïlande. Selon Gerry Barr, directeur-général du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI), l’un des buts de l’Accord sur les ADPIC est justement de réglementer de façon à établir un cadre commercial commun plus restrictif pour tous les pays membres de l’OMC, « ce qui aura pour effet de limiter encore plus l’accès aux médicaments dans les pays pauvres qui n’en produisent pas ».
En effet, l’Accord sur les ADPIC renferme une clause qui permet l’importation de médicaments génériques pour des motifs de santé publique - grâce à des « licences obligatoires » - mais uniquement dans les pays où le médicament en question est déjà fabriqué. Rejoint au téléphone, le Dr Bernard Pécoul, directeur de la Campagne pour l’accès aux médicaments essentiels de Médecins sans frontières (MSF) à Genève, rappelle que « ce sont les populations des pays qui en ont le plus besoin qui ne peuvent se prévaloir de cette clause ».
De Doha à Cancun
Devant la menace que représente l’Accord sur les ADPIC, les pays en développement avaient fait front commun lors de la dernière conférence ministérielle de l’OMC à Doha, en novembre 2001, afin de s’entendre sur des conditions qui permettraient aux États de passer outre les brevets en matière de santé publique. La déclaration finale, qui affirme clairement que l’Accord sur les ADPIC « n’empêche pas et ne devrait pas empêcher les [pays] membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique », a été considérée comme un premier pas dans la bonne direction.
Reconnaissant les difficultés des pays pauvres qui ne fabriquent pas de médicaments à se prévaloir des licences obligatoires, la déclaration stipulait aussi que le comité de négociation avait pour mandat de trouver une solution rapide à ce problème avant la fin de 2002.
Or, depuis, c’est l’impasse. Le Dr Pécoul parle même d’un « recul » dans l’état des négociations : « La déclaration politique de Doha était extrêmement claire. Cet engagement devait être traduit en mesures concrètes qui n’ont toujours pas été prises. On tente même de réduire la portée de cette déclaration. »
Peu de temps après Doha, les négociateurs ont tenté de limiter à une liste restreinte les maladies pour lesquelles l’importation de médicaments génériques serait possible. Une manœuvre que condamne fortement Médecins sans frontières. Selon l’organisation, la plupart des maladies importantes qui touchent principalement l’Afrique, pour lesquelles il existe des médicaments sous brevet, ont été exclues. De plus, « la quasi-totalité des maladies ≤agréées≤ dans cette liste sont celles pour lesquelles il n’existe pas de traitements médicamenteux ou pour lesquelles les traitements existants ne sont déjà plus protégés par des brevets. Cette tentative flagrante de protéger les intérêts des sociétés pharmaceutiques occidentales contribuera à maintenir des médicaments essentiels hors de portée des populations des pays en développement », peut-on lire dans le document de MSF, La Déclaration de Doha remise en question.
Un rapport de forces inégal
Le directeur du CCCI explique cette tentative par le rapport de force inégal à la table des négociations. « Les pays du Sud font leur possible pour s’affirmer et participer aux discussions, mais c’est très difficile de faire le poids contre la puissance économique des pays industrialisés. » Il rappelle que lors des négociations, les pays en développement sont « en visite » puisqu’ils participent seulement aux grandes conférences ministérielles, exclus des rencontres de travail qui se sont déroulées entre autres à Sydney, Tokyo et Montréal, à la fin juillet.
Plusieurs s’empressent aussi de dénoncer la politique de « deux poids, deux mesures » appliquée par certains pays industrialisés. « Lorsque les États-Unis et le Canada craignaient la maladie du charbon [Anthrax] en 2001, ils se sont empressés de contourner la législation pour importer des médicaments génériques du Cipro, alors qu’ils interdisent aux pays en développement de faire la même chose », s’indigne le Dr Pécoul.
Lors de la prochaine rencontre de l’OMC qui aura lieu au Mexique, un nouveau joueur pourrait venir modifier le rapport de forces entre les pays du Nord et du Sud. Selon Gerry Barr, « la Chine, devenue membre en décembre 2001, est une économie importante qui, comme l’Inde et le Brésil, a intérêt à s’affirmer dans le dossier de l’accès aux médicaments essentiels. Il faut absolument parvenir à mettre sur pied des mesures concrètes pour mettre en œuvre la Déclaration de Doha. On ne demande rien de nouveau, simplement de respecter ces engagements. »
À suivre, lors de la 5e Conférence ministérielle de l’OMC qui se déroulera à Cancun, du 10 au 14 septembre 2003.
Daphnée Dion-Viens, coordonnatrice et rédactrice, journal Alternatives