La structure ternaire du recueil évoque l’aller et le retour d’un homme quittant la ville un matin pour faire un bref séjour au pays du désastre, au milieu d’une nature friable où rien ne se passe, dans un territoire inoccupé à « l’horizon sans pointes ni dentelles » où « un silence intégral fut décrété » et que traversent parfois des animaux égarés, des « fantômes de feux follets » et de mondes déracinés.
Ce séjour s’avère en outre un voyage dans le temps, où parleront aussi l’arpenteur fédéral de 1969 et la femme de ménage de l’aéroport vide. Les pages de Lignes aériennes sont traversées par une déchirante mélancolie et par une colère souterraine et ligneuse devant l’absurde, le « néant qui avait la folie des grandeurs » et ce vide créé par le trait technocrate effaçant du décor un monde familier plein de vies antérieures, les sous-bois de l’enfance et les coffres secrets. Les poèmes contiennent une puissance d’évocation qui, à l’image du ravage, emporte tout ensemble les multiples dérangements : l’exode des familles et des paroisses, « la mise aux enchères / des outils et des restes de vie », « l’évidement des bas-côtés et des cuisines d’été », le déplacement docile « des pierres qui dormaient dans les murs », les « plaintes de tracteurs attelés au vide » et la charrue poussant « devant elle » « des rouleaux de fantômes blancs ». La beauté de nombreux passages est d’autant plus bouleversante qu’elle sourd d’« une souffrance sans nom et sans visage / dans un monde de causalités folles / et d’explications sans substance ».
Lignes aériennes, de Pierre Nepveu, est une œuvre saisissante qui rappelle que c’est parfois la beauté qui l’emporte, en la faveur des héritiers que nous sommes, sur la bêtise humaine.