Liberté de presse en péril au Niger

lundi 28 avril 2003, par Julie ROY

Un garçon crie, dans les rues empoussiérées de Niamey, la capitale du Niger, les dernières dépêches de la journée. Il vend des journaux dans un pays où plus de 80 % de la population est analphabète et où le fait d’acheter un journal, même à 300 FCFA (0,80 $ CAN), est un luxe pour une population qui vit avec moins de 1$ par jour. Malgré tout, la presse a une énorme influence sur la société, si pauvre soit-elle. Pas étonnant que les autorités utilisent différents moyens pour la contrôler.

Au Niger, la loi stipule que « la presse écrite ou audiovisuelle ainsi que la diffusion et l’impression sont libres. Le droit à l’information est un droit inaliénable de la personne humaine ». Dans les faits, la situation est différente. Abdoulaye Tiémogo, directeur du journal Le Canard Déchaîné, vient tout juste de sortir de prison où il a passé huit mois pour délit de presse. Il en était à sa quatrième arrestation, toujours pour les mêmes raisons. Son crime ? Avoir dénoncé dans son journal les agissements du premier ministre Hama Amadou. Abdoulaye Tiémogo affirme que « le premier ministre est hostile à toute critique et il veut diriger par la force. Mais comme nous sommes en démocratie, il ne peut diriger de cette façon. Alors, il porte plainte pour diffamation et de cette manière, il écarte la personne dérangeante de son chemin. »

En effet, selon la loi sur la presse, émettre des allégations ou imputations qui porteraient atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne est une diffamation punissable par la loi. Mais dans les faits, c’est autre chose, affirme Abdoulaye Tiémogo. « Aussitôt que nous critiquons une personne, elle peut faire une plainte. Nous sommes alors arrêtés et c’est à l’accusé de faire la preuve qu’il est innocent. Pour cela, il faut dévoiler nos sources, ce que je refuse de faire. C’est une question de confiance. » Le rapporteur spécial des Nations unies chargé de la liberté de la presse a d’ailleurs déclaré que « l’emprisonnement en tant que sanction de l’expression pacifique d’une opinion constitue une violation grave des droits de l’homme ».

Pour réduire les journalistes au silence, l’État nigérien ne se sert pas seulement des tribunaux. Un nouveau régime fiscal est en voie d’être imposé, une difficulté de plus pour les entreprises de presse. Comme l’explique Arimi Abba Kiari, journaliste et responsable administratif et financier pour le journal Alternative à Niamey, « ce nouveau régime d’imposition amène la perte de plusieurs entreprises de presse, parce qu’il oblige les entreprises à engager un comptable ou une agence d’experts comptables. La plupart des entreprises de presse n’ont pas les moyens d’engager de telles dépenses. Comme elles ne produiront pas de rapport, le gouvernement les imposera en fonction de chiffres fictifs ! » Le gouvernement n’applique pas encore sa loi, mais la société civile craint qu’aussitôt qu’il se sentira attaqué par la presse, il ne réclame son dû.

Épée de Damoclès

« La presse vit constamment avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les recettes de la vente des journaux ne suffisent pas à rentabiliser les entreprises de presse », affirme Arimi Abba Kiari. Il ajoute : « Les publicités sont très rares. L’État est le principal annonceur et, évidemment, si vous soumettez des idées contraires au gouvernement en place, il n’achètera pas de publicité dans votre journal. C’est le financement de la pensée unique. Beaucoup de journaux n’ont d’autre choix que d’accepter des pots-de- vin pour des articles afin de survivre. »

Pourtant, dans son dernier budget, l’État a mis sur pied un fonds d’aide à la presse estimé à 160 millions de FCFA (400 000 $ CAN). Officiellement, aucun organe de presse n’a encore reçu cet argent. Mais comme le souligne Saïdou Arji, secrétaire général du Réseau des journalistes pour les droits de l’homme (RJDH), « tous les pays du Sahel reçoivent un fonds d’aide à la presse, il n’y a qu’au Niger que ce fonds n’est pas alloué. Les chiffres indiquent cependant que cet argent est bel et bien sorti des coffres du trésor public. Les fonds ont tout simplement été détournés à des fins que l’on ignore. »

Enfin, les seuls espoirs de la presse au Niger sont l’abandon des poursuites criminelles contre les journalistes, la réelle mise en place d’un fonds d’aide à la presse mais, surtout, la poursuite de l’idéal qui anime les journalistes qui se battent au quotidien pour donner de l’information et libérer les opinions. Cela, M. Tiémogo en est très conscient. « La prison n’a rien changé. Les journalistes doivent avoir le courage de dénoncer même si cela les amène en prison. »


Julie Roy, stagiaire du programme Médias alternatifs, présentement au Niger.

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