L’opposition dirigée par le mouvement chiite Hezbollah, le mouvement Amal à majorité chiite du président du parlement Nabih Berri et le Courant patriotique libre à majorité chrétienne du général Michel Aoun détient toujours 57 sièges du parlement (sur 128). La Coalition du 14 mars, qui est au pouvoir, conserve 71 sièges. Cette coalition est formée du mouvement Al-Moustaqbal à majorité sunnite dirigé par Saad Hariri, fils du défunt premier ministre Rafic Hariri, du Parti socialiste progressiste majoritairement druze de Walid Joumblatt, ainsi que du Parti phalangiste de Amin Gemayyel et des Forces libanaises de Samir Geagea, deux formations majoritairement constituées de chrétiens.
Mais en ce qui concerne le nombre des voix, l’opposition l’a emporté avec 54,5 % des votes contre 45,5 % pour la Coalition du 14 mars. Ceci rend la défaite un peu moins amère pour l’opposition, que tous les sondages donnaient victorieuse avant le scrutin.
Cette distorsion entre les sièges et le vote s’explique par la loi électorale et le découpage des différentes circonscriptions qui font que la majorité des électeurs ne peuvent pas obtenir une majorité concordante de sièges parlementaires.
De plus, des questions « techniques » permettent d’expliquer cette aberration électorale : des fraudes dans certaines circonscriptions sunnites dominées par le mouvement Al-Moustaqbal ; l’achat de votes ; et le recours massif à l’argent pour s’assurer l’appui d’électeurs (dans le magazine américain Newsweek, un haut responsable saoudien a anonymement affirmé que son pays a dépensé 750 millions de dollars américains pour appuyer la coalition au pouvoir). Ces dépenses ont permis à la Coalition du 14 mars de payer les frais exorbitants pour des dizaines de milliers d’émigrants libanais qui ont voté pour leurs listes dans les circonscriptions menacées par l’opposition.
Des enjeux régionaux
Les acteurs régionaux et internationaux, tels les États-Unis, Israël, l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran et la Syrie, ont joué un rôle important dans les résultats. Ces pays n’ont pas caché l’importance des élections libanaises pour l’équilibre des forces au Proche-Orient entre les États-Unis et ses alliés arabes (Arabie saoudite, Égypte) et l’axe Syrie-Iran.
Chaque camp espérait pouvoir améliorer ses positions avant d’éventuelles négociations, comme l’a mentionné le vice-président américain Joe Biden durant sa visite à Beyrouth, une dizaine de jours avant les élections. M. Biden avait alors exhorté la Coaltion du 14 mars à gagner les élections parce que cela permettrait de renforcer la position américaine « dans les négociations à venir avec la Syrie ». De ce point de vue, la majorité parlementaire obtenue par la Coalition du 14 mars est certes la bienvenue, mais elle reste insuffisante pour permettre à cette coalition de gouverner seule le pays, et donc de dicter ses conditions sur les orientations politiques du Liban sans tenir compte de l’avis des États-Unis et des intérêts de l’opposition. Car depuis l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005, le Liban est divisé. Le consensus politique concernant le conflit israélo-palestinien, les relations avec la Syrie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les États-Unis, ainsi que la résistance armée menée par le Hezbollah a été ébranlé.
Les quatre dernières années marquées par des crises successives ont prouvé qu’aucun des deux camps ne détient une majorité populaire, communautaire ou parlementaire décisive, lui permettant de mener le pays dans la direction souhaitée.
Les relations avec la Syrie demeurent cruciales, surtout parce que ce pays constitue le seul accès terrestre aux pays arabes (le Liban n’ayant d’autres frontières qu’avec Israël et l’accès sur la Méditerranée).
Cet équilibre très fragile et l’échec des tentatives de monopolisation du pouvoir expliquent pourquoi les autorités saoudiennes et syriennes se sont mises d’accord, avant le scrutin, sur la nécessité de reconnaître les résultats des élections, quel que soit le vainqueur. Cette attitude, qui s’inscrit dans un climat de détente régionale entre l’axe Syrie-Iran d’une part et les États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte d’autre part, a été confirmée avec la visite positive de l’émissaire américain George Mitchell à Damas en juin, et avec l’amorce d’un dialogue entre les États-Unis et la Syrie.
Vers une entente régionale ?
Les acteurs politiques libanais, et leurs alliés étrangers, ont récemment montré une volonté de conciliation.
Le camp gouvernemental a fait preuve d’ouverture envers l’opposition. Contrairement à ses positions depuis plus de trois ans, Saad Hariri refuse de discuter du désarmement du Hezbollah parce que ce sujet « risque d’attiser les divisions au sein du pays ». Son entourage a même laissé entendre qu’il serait prêt à fournir des garanties à ce sujet pour rassurer le Hezbollah. Pressenti comme premier ministre, Saad Hariri dit être prêt à visiter la Syrie pour normaliser les relations avec Damas, un geste impensable il y a quelques semaines, surtout qu’il avait accusé la Syrie d’être impliquée dans l’assassinat de son père, Rafic. De plus, son allié, M. Joumblatt, connu pour ses attaques très violentes contre Damas, continue d’adopter un ton plus conciliant avec la Syrie et le Hezbollah.
De son côté la Syrie, qui appuie le principal parti d’opposition (le Hezbollah), a indiqué qu’elle ne s’oppose pas à la désignation de M. Hariri au poste de premier ministre, tout en affirmant être prête à le recevoir en visite officielle.
Les discussions concernant la présence de l’opposition dans le futur gouvernement sont bien amorcées. Le nombre de sièges et les conditions de participations sont au menu. Si ce scénario se concrétisait, cela voudrait dire que le nouveau gouvernement serait le fruit d’une entente entre Libanais, mais aussi entre la Syrie, l’Arabie Saoudite, l’Iran et les États-Unis.
Au Liban, les joueurs sont presque toujours les mêmes, et la fragilité de l’équilibre entre les différents acteurs régionaux ne fait qu’accentuer la fragilité du pays.