Lettre ouverte à la première ministre du Québec

jeudi 28 février 2013, par Isabelle Baez

Madame Marois,

Je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que Prof contre la hausse, en tant que mère, mais surtout en tant que simple citoyenne.

Le Sommet sur l’enseignement supérieur s’est conclu hier sur ce que nous pressentions : la décision de votre gouvernement de passer outre les leçons du printemps dernier en haussant les droits de scolarité. Je ne m’étendrai pas ici sur la différence de nature entre une indexation et une hausse, des économistes l’ont fait pour moi et j’imagine que vous ne manquez pas de professionnels capables de vous informer. Vous semblez avoir très bien intégré le jeu sur les mots utilisé ad nauseam par le gouvernement Charest.

Mais revenons donc à la fin du Sommet. Dès 14 heures, j’étais au Square Victoria avec des milliers d’autres personnes afin de vous faire savoir que nous n’acceptions pas votre hausse. Après quelques prises de parole, nous avons commencé à marcher vers le nord pour ensuite emprunter la rue Sherbrooke vers l’est. La manifestation était on ne peut plus pacifique. Pourtant, après quelques minutes, un cordon d’antiémeutes a foncé près de la bannière des PCLH, bousculant violemment des collègues qui n’avaient rien vu venir. En recoupant ensuite nos observations, nous nous sommes dit qu’il s’agissait peut-être de ce que la police appelle une « arrestation ciblée » puisqu’une personne, qui marchait tout aussi tranquillement que nous, avait été emportée par les forces de l’ordre. Qui était cette personne ? Pourquoi avait-elle été ciblée ? Deux questions qui demeurent sans réponse.

Il nous fallu quelques minutes pour nous calmer après cette intervention, mais petit à petit, nous avons repris confiance et, sans autres incidents, nous sommes arrivés rue St-Denis, en grand nombre, dans ce qui prenait l’allure d’une manifestation familiale. À l’angle de la rue Cherrier et de la rue St-Denis, alors que je discutais avec une amie accompagnée de ses enfants, nous avons entendu une détonation. La panique s’est emparée de la foule. Je me tenais à ce moment-là dans le petit contingent familial clairement identifié par des ballons jaunes.

La suite, vous la connaissez, nous la connaissons toutes et tous puisque c’est celle qui a prévalu au printemps dernier. Les policiers ont chargé, matraqué, insulté et jeté des personnes au sol. Une petite variante, toutefois, plusieurs d’entre eux ont chargé à cheval, tout près des familles, sans considération aucune pour les enfants présents.

À ce moment-là, j’ai quitté la manifestation. Je ne pouvais risquer une blessure : j’avais rendez-vous avec mon fils devant son école. Lorsque je l’ai rejoint, je me sentais profondément dégoûtée par ce que je venais de voir, par ce que je venais de vivre. En chemin, j’avais fait quelques pas avec une personne du regroupement Mères en colère et solidaires. Elle venait de se faire matraquer. Elle m’a confié que ce n’était pas les coups qui lui avaient fait le plus mal, mais la violence verbale du policier qui les avait assénés.

Mon fils m’a demandé pourquoi j’avais l’air triste. On entendait encore les hélicoptères. Je lui ai répondu que je revenais de la manifestation et que j’y avais vu des comportements difficiles à accepter. Il m’a demandé si j’avais été blessée ou si des amis l’avaient été. Pendant qu’il me posait ces questions, je me suis dit que j’aurais pu ne pas être au rendez-vous, que peut-être au moment où on se parlait quelqu’un roulait sous les sabots d’un cheval, perdait un œil ou tout simplement la vie. Vous trouvez que j’exagère, Madame Marois ? Je crains que non. Hier, des policiers ont tiré à plusieurs reprises à hauteur du visage. Des photographies et des vidéos en font preuve.

J’en arrive à l’objet de ma lettre. Si je vous écris ce matin, c’est pour vous dire que ce que j’ai vu hier témoigne, à mon avis, d’une profonde inconscience. Le fait que les policiers se soient déchaînés avec une telle violence en dit long sur les ordres qu’ils ont reçus. Alors que les plaintes pour brutalité policière s’accumulent, que les preuves vidéo de cette violence circulent depuis des mois, ils se montrent encore plus acharnés, imprévisibles et méprisants. Cela ne peut être le fruit du hasard. C’est ce qui m’effraie le plus, Madame Marois.

Je me demande ce que vous attendez pour agir. Je vous le demande. Qu’il y ait mort d’homme, de femme ou d’enfant ? Nous faut-il espérer que les journalistes des grands médias soient maltraités à leur tour pour que soient enfin relayées les images de la brutalité policière qui règne dans les rues de Montréal ? N’avez-vous pas compris que la violence policière ne peut constituer une réponse ? Qu’elle n’empêchera pas les citoyens et les citoyennes de s’exprimer ? Nous sommes à ce jour 11 243 personnes à avoir signé la pétition pour une commission d’enquête publique sur la violence policière de 2012. Vous qui vous montrez si sensible à l’opinion publique, que nous répondez-vous ? Madame Marois, que vous faut-il donc pour sortir de votre inconscience ?


Crédit photo : Thien

*Lettre ouverte préalablement parue sur la page Facebook de l’auteure.

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