Depuis que je suis toute petite et qu’on m’a enseigné l’histoire du Québec, la Révolution tranquille me passionne. L’émancipation du peuple québécois, la constitution de notre identité, notre affirmation en tant que francophones, le rapport Parent, la mise sur pied de l’assurance maladie, la légalisation de la syndicalisation… Tous ces apports m’ont donné une foi inébranlable en la politique. Et en la société. Je me souviens d’avoir regardé des documentaires sur cette époque et d’en avoir pleuré. Et d’être tellement fière.
Ce projet qu’avaient en commun les Québécois et cette solidarité indescriptible me rendaient fière d’être Québécoise, même si cela me paraissait désormais d’un autre temps. Vous me direz qu’on m’a juste montré le bon revers de la médaille, que je suis peut-être naïve, mais il reste que vous, gens qui avez participé à la Révolution tranquille, avez vécu quelque chose de fou.
Vous avez modernisé le Québec. Vous avez sorti votre peuple de la Grande noirceur. Je ne m’imaginais pas vivre un tel événement au XXIe siècle. C’est d’ailleurs pour cela que je m’amusais à dire (tout en le pensant), que j’aurais aimé vivre dans les années 1960. Certains auraient voulu vivre à la Renaissance. Moi, c’était dans les années 1960, au Québec. En réponse à cette affirmation, on m’a dit un jour « tu verras, tu en vivras, toi aussi, des moments historiques ». Et moi de me dire, très pessimiste, « oui, peut-être bien… » J’avais l’impression que le mot solidarité sonnait désormais faux aux oreilles de mes concitoyens et que l’individualisme avait maintenant pris le dessus. À mon avis, un projet de société, il n’y en avait pas vraiment.
Les événements des derniers mois ont chassé mon pessimisme passager et ma foi en la société a refait surface. Le dimanche 22 avril, je ne sais pas nous étions combien de milliers de personnes à prendre le métro pour se rendre à la marche, mais on était déjà beaux à voir. Tout sourire, nous laissions entrer les gens de manière stratégique : « une place pour un enfant ici, le père avec son bébé sur le banc là-bas, la pancarte ici ! ».
Rendus à destination, plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient déjà rassemblées avec leurs pancartes, leurs maquillages et leurs accessoires. Ils avaient manifestement mis du temps à se préparer pour participer à cette « manif du grand ras-le-bol », pour reprendre l’expression de Louis-Gilles Francoeur et de Mélissa Guillemette dans un article du Devoir. Le peuple québécois en a ras-le-bol de projets qui ne lui ressemblent pas et qu’on lui impose. Nous n’en voulons pas du Plan Nord. Nous n’en voulons pas des gaz de schistes. Nous ne voulons pas « vendre » nos ressources minières à un prix dérisoire et en payer les conséquences. Nous n’en voulions pas du projet de La Romaine et de la destruction de son écosystème. Près de 300 000 personnes étaient dans les rues pour le crier. C’est à ce moment que je me suis dit que nous en avions peut-être, finalement, un projet de société.
C’est aussi ce que je me suis dit quand j’ai commencé à porter le carré rouge. Lors de la manifestation nationale du 22 mars, rassemblant quelque 200 000 étudiants, professeurs, grands-parents et familles, je me suis dit que ce n’était définitivement pas ce modèle que l’on voulait pour notre Québec. Plus qu’un débat économique, le mouvement contre la hausse des frais de scolarité se bat en quelque sorte pour garder les acquis de la Révolution tranquille. En effet, durant cette révolution, un système d’éducation archaïque et élitiste a fait place à un système d’éducation moderne et accessible. Nous sommes plusieurs à ne pas vouloir reculer. Ceux qui me disent que le contexte social a changé, vous avez raison. La population est vieillissante. Mais c’est cette population qui a, en grande partie, participé à la Révolution tranquille.
N’est-il pas d’une incroyable tristesse de dire que la révolution qui a fait votre et notre fierté ne sera pas viable pour la génération présente et celles à venir ? Qu’elle n’aura duré que quelques générations, voire seulement deux ? Que maintenant, il faut passer à autre chose ?
De toute évidence, les étudiants ne pensent pas seulement à leur portefeuille, mais aussi à un ensemble de valeurs auquel on renoncerait en se pliant devant une telle hausse. Le Ministre Bachand l’a lui-même dit, il souhaite instaurer une « révolution culturelle ». Que ceux qui reçoivent un service public acceptent d’en payer la « juste part » (j’aimerais d’ailleurs qu’on me définisse cette expression). Cela s’éloigne du principe de justice et d’accessibilité et se rapproche d’un système élitiste auquel on a collectivement renoncé il y a une cinquantaine d’années.
Un peuple instruit, jamais ne sera vaincu !
Même si je crains que notre gouvernement continue de nous manipuler avec son argument de la majorité silencieuse et ses autres tactiques, je me dis qu’un mur a été franchi. Nous avons pris conscience de ce qui se passe et de ce que l’on risque de perdre en ne se soulevant pas. Les événements des derniers mois nous ont démontré que la population ne sera plus aussi passive qu’elle a pu l’être précédemment. Il est désormais clair que le gouvernement devra agir en tenant compte d’une nouvelle variable à son équation politique : celle d’une population confiante, conscientisée et déterminée à faire valoir son opinion.