Après d’intenses manifestations populaires qui ont mené au renversement de l’ancien chef d’État, Édouard Chevardnadze en novembre 2003, de nouvelles élections présidentielles en janvier 2004 portaient au pouvoir le chef de l’opposition, Mikhail Saakashvili. Avec ce nouveau gouvernement, la population espère enfin voir le règlement de vieux conflits internes qui minent la santé économique du pays. La Géorgie compte deux territoires sécessionnistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, situés au nord du pays. Quant à la région de l’Adjarie, elle réclame une plus grande autonomie par rapport au pouvoir central de Tbilissi, la capitale.
À la mi-mai, le gouverneur de l’Adjarie, Aslan Abashidze, prenait la fuite, capitulant devant les pressions de Tbilissi. Un geste qualifié de victoire pour le gouvernement de Saakashvili, mais aussi pour les populations de cette région, aux prises avec un dirigeant autocrate et antidémocratique. Des élections locales y sont prévues en juin 2004 et le gouvernement a promis de conserver le statut autonome de l’Adjarie, une décision qui pourrait établir un précédent dans les autres négociations à venir.
Conflits ethniques ou politiques ?
La Géorgie est composée de plusieurs régions distinctes, peuplées par une mosaïque de communautés ethniques. Sous Staline, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie avaient obtenu un statut autonome en 1922 et 1931 respectivement. Mais la Géorgie sous sa forme actuelle n’existe que depuis la dissolution de l’Union soviétique en 1991.
Au fil des ans, les autorités politiques ont régulièrement attribué des avantages sociaux et économiques sur la base de l’appartenance à un groupe ethnique. Lors de l’effondrement de l’Union soviétique, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont craint de perdre leur autonomie. Une crainte exacerbée par le discours nationaliste du premier président élu de la Géorgie, qui affirmait que les minorités ethniques n’avaient aucun rôle à jouer dans la création d’un nouvel État indépendant. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont donc déclaré sécession. L’intervention des troupes militaires géorgiennes a provoqué le déplacement d’environ 250 000 personnes. Malgré la signature d’un cessez-le-feu et le déploiement de Casques bleus en 1992, une solution durable aux conflits se fait toujours attendre.
Plusieurs acteurs affirment que le règlement du différend relève uniquement d’une entente entre les communautés géorgiennes d’un côté, et les Abkhaz et Ossètes de l’autre. Mais il faut faire attention avec le qualificatif de conflit « ethnique ». Selon Siegfried Woeber, responsable de la Géorgie pour l’organisation néerlandaise Interchurch Peace Council, les disputes territoriales relèvent aussi du domaine politique.
« Selon lui, la configuration actuelle du système politique exclut plusieurs intervenants clés du processus de négociation pour la paix. » Il ajoute que les conflits opposant la Géorgie aux territoires indépendants sont les symptômes d’un malaise plus profond : le manque de représentation politique d’importants groupes sociaux et l’absence d’un mécanisme adéquat pour gérer les relations de pouvoir entre le centre et les régions. « La récente crise en Adjarie ayant mené à la fuite d’Aslan Abashidza en est un exemple », affirme Siegfried Woeber.
L’amélioration des relations avec la Russie, joueur central dans l’alimentation des conflits, est aussi un facteur important. Ce grand voisin situé au nord de la Géorgie a longtemps appuyé les régions séparatistes, souhaitant maintenir son influence militaire et économique dans le Sud-Caucase. Il avait dirigé le déploiement de Casques bleus en Abkhazie et Ossétie du Sud, détient toujours trois bases militaires en Géorgie et contrôle le réseau énergétique du pays (via l’achat des compagnies de distribution de gaz et d’électricité).
Vers une solution ?
Depuis qu’il est au pouvoir, Mikhail Saakashvili a démontré sa volonté de trouver une solution rapide aux conflits. Le premier plan national visant le rétablissement de la paix avec l’Abkhazie qui sera dévoilé aujourd’hui (26 mai) est fort attendu. Mais selon Siegfried Woeber, « la stratégie risque d’être moins révolutionnaire que les responsables le prétendent. Il proposera probablement de rapatrier les populations déplacées. » Une solution qui ne règle pas le cœur du problème - le statut et le pouvoir politique des régions - pouvant même mener à la détérioration de la situation, considérant l’insécurité qui règne dans la région.
Malgré sa popularité, le gouvernement s’est montré plutôt intolérant vis-à-vis des critiques concernant les moyens employés pour atteindre ses objectifs (notamment la réduction de la corruption et la résolution de conflits).
Les campagnes anticorruption ont été entachées de violations des droits humains en raison de l’absence d’un processus judiciaire convenable. De plus, la Constitution a été modifiée du jour au lendemain, sans consultation adéquate, concentrant davantage le pouvoir dans les mains du président. Il a dorénavant la possibilité de dissoudre le Parlement et le cabinet ministériel.
Zurab Burduli est directeur du Georgian Young Lawyers Association, une organisation basée à Tbilisi ayant surveillé les différentes élections depuis novembre 2003. Selon lui, le nouveau contexte politique est également caractérisé par une rupture de dialogue entre le gouvernement et la société civile. Et cela s’explique par le fait qu’« un nombre important de députés et ministres proviennent du milieu associatif, ce qui leur donne l’impression de connaître les attentes populaires, justifiant ainsi l’absence de consultation. »
Les organisations de la société civile ont pourtant été le moteur de la transformation politique de novembre 2003, en soutenant l’opposition et en appuyant le déroulement pacifique des événements. « La société civile est donc appelée à jouer un rôle critique, mais constructif, dans la résolution de ces différends », aux dires de Siegfried Woeber. Et de fait, plusieurs organismes travaillent d’arrache-pied à la démocratisation du processus de paix dans la région. Pour Alexander Russetsky, coordonnateur du réseau pour la paix Helsinki Citizens’ Assembly à Tbilissi : « La représentation politique inclusive jumelée à la démocratie participative et le pluralisme politique constituent les éléments clés de la résolution des conflits internes de la Géorgie. »