Le Guatemala se réveille aujourd’hui de plusieurs décennies de cauchemars. Une guerre a meurtri la population des années 1960 à 1996. Les Guatémaltèques comptent désormais les pertes : 150 000 morts, 40 000 à 50 000 disparus, autant d’exilés, un million de déplacés internes. Lourd bilan. Ce petit pays s’est vu entraîner dans l’ouragan de la guerre froide par le géant américain. Un coup d’État, orchestré par la CIA (Clinton a reconnu son implication en 1999), impose un pouvoir fantoche. Les militaires reçoivent du financement pour s’armer, ils exproprient alors la majorité des terres agraires, qui sont ensuite vouées à des cultures d’exportations (café, fruits, etc.). Des expropriations qui ne supportent aucune résistance : les guérilleros qui s’interfèrent sont décimés, et de nombreuses communautés autochtones, assimilées à tort à ces révoltes, subissent le même sort. Les survivants fuient en exil au Mexique voisin, ou bien se déplacent, se cachent, arrachés à leurs terres ancestrales.
Après de laborieuses négociations, des accords de paix sont enfin signés le 29 décembre 1996. Les conflits cessent, mais le chemin de croix ne fait que commencer. Tout d’abord, la question cruciale de la redistribution des terres s’impose sur la scène nationale. Ensuite, le retour des réfugiés en exil s’affiche comme une épreuve de taille pour le pays. Non désirées par le gouvernement, ces communautés de « retournés » ont tout à rebâtir, en commençant par trouver une terre sur laquelle reconstruire leur vie. Les déplacés internes (soit 10 % de la population), majoritairement autochtones, doivent aussi essuyer les cendres et se trouver un avenir. Difficile, alors que le gouvernement les ignore, ne leur accordant quasiment aucune aide, et que même les Nations unies n’entendent pas leurs maux.
Au sein de tous ces déplacements, des ethnies qui voisinaient jusque-là sans se rencontrer ont été amenées à cohabiter. Provoquant d’abord un bouleversement culturel, ce brassage les a incités par la suite à développer un esprit collectif plus grand, qui pourrait renforcer leur poids politique, si le pouvoir leur en laissait la place. Ainsi, des groupes, comme celui de Jesus Tecu Osorio, témoignent du massacre et demandent justice contre les bourreaux de leurs pairs. « Nous entrons dans une nouvelle phase juridique d’arrestations des paramilitaires, affirme-t-il. Maintenant plus que jamais, nous avons besoin du soutien international, pour porter plainte contre le génocide. »
Les morts oubliés ressurgissent du passé. Une commission pour l’éclaircissement historique tente des investigations sur la violation des droits humains. Elle a lancé des appels à témoignage dans la presse, mais la population y répond timidement. La peur de représailles est forte et à raison : le 24 avril 1998, l’Église émet le rapport Guatemala nunca mas (Guatemala : jamais plus) qui met en lumière ces massacres. Le prêtre qui le présente publiquement est assassiné trois jours plus tard. L’influence de Rios Montt, le dirigeant des massacres, plane toujours.
Pleurer les morts
Plus que jamais, la nécessité de retrouver les corps des disparus se fait sentir. Les exhumations constituent une preuve essentielle, afin de pouvoir poursuivre en justice les assassins. Les comités autochtones et les Nations unies estiment entre 500 et 800 le nombre de fosses communes éparpillées à travers le pays. Au-delà de la poursuite judiciaire, il en va aussi du salut des survivants. Selon la tradition maya, celui qui n’a pas eu de sépulture décente ne trouvera jamais le repos, il errera sans but et se vengera de ses parents ingrats. Les familles réclament des adieux.
Comment une saine démocratie peut-elle être possible au sein d’une société qui s’est automutilée ? Ceux qui ont souffert doivent être entendus avant d’accorder leur pardon, observe Marie-Eve Beaud, étudiante à la maîtrise en science politique à l’UQAM, qui effectue en ce moment des recherches au Guatemala : « Tant que les autochtones n’auront pas une place importante, je ne pense pas que la société démocratique pourra être complète, affirme-t-elle. Le peuple demande justice pour ce qui lui est arrivé pendant le conflit, mais seules des politiques faibles et timides ont été mises en place, ce qui déçoit beaucoup la population...
Bref, les gens ont perdu confiance en la politique. Le Guatemala est présentement en recul dans son processus de démocratisation. » À l’approche des élections présidentielles et parlementaires de novembre 2003, le pays s’agite. Seule une réconciliation nationale pourrait assainir la politique. Certains ont encore envie d’y croire, même si, selon l’étudiante, « beaucoup s’en remettent à Dieu désormais... »