L’identité nationale n’est jamais aisée à définir et elle est pleine de pièges, de trous et de raccourcis douteux. Comme l’identité humaine. Qui suis-je ? où vais-je ? sont toujours des questions d’actualité. Il m’arrive souvent de dire que nous sommes faits d’une sorte de pâte filo d’identités. Sait-on toujours vraiment toutes les couches qui composent notre mixture ou notre mixité ?
Nous sommes loin d’être tricotés serrés, nous le découvrons un peu plus chaque jour. Nous sommes des descendants de migrants venus de partout et d’autochtones. Et nos ancêtres arrivés dans ce Nouveau Monde ont eu souvent des identités multiples et camouflées. J’ouvre une parenthèse. À l’occasion d’un café littéraire lors des récentes Correspondances d’Eastman, l’éditeur André Vanasse (XYZ) rappelait, à juste titre, que même les premiers explorateurs de ce coin du monde avaient des origines surprenantes : Christophe Colomb était juif, Champlain était protestant comme son ami Pierre Du Gua de Monts de qui on vient d’ériger un joli bronze à Québec. Il ne serait d’ailleurs pas impossible que Champlain se soit converti au protestantisme pour camoufler le fait qu’il était juif, tout comme son oncle auprès duquel il avait appris son métier de marin... Et quand certains se demandent si John Cabot ne serait pas le premier découvreur du Canada (plutôt que Jacques Cartier) on se rappellera qu’il se nommait en fait Giovanni Caboto, qu’il était un Italien au service de l’Angleterre... Fin de la parenthèse.
Nous vivons dans un monde en profonde mutation identitaire. Surtout dans les grandes villes, un nouveau monde s’invente, se cherche, mais avance aussi. L’ouverture aux autres, à la différence dans toute sa complexité, a gagné énormément de terrain en 40 ans. Le bout d’histoire du Nouveau Monde que nous sommes en train d’écrire mérite qu’on s’y attelle avec générosité. La manière avec laquelle les coprésidents de la Commission Taylor-Bouchard ont mis la table la semaine dernière était courageuse et invitait au dépassement, ce qu’il faut saluer. Ce n’est pas si fréquent dans notre paysage politique.
L’intention avouée de la Commission est d’aller au fond des choses, avec intelligence, pertinence, rigueur et sensibilité ; bref, a priori, de ne rien balayer sous le tapis. Embrasse-t-elle trop large, suscitera-t-elle trop d’attentes... déraisonnables ? J’ai tendance à penser qu’un peu d’audace, doublé d’un désir de bien (s’) informer et d’une attitude empreinte de confiance sont de bonnes pistes pour susciter un débat stimulant. On risque d’être surpris par la récolte.
Jusqu’ici les débats entourant la laïcité dans l’espace public et la gestion de la diversité culturelle, et la diversité religieuse en particulier, ont surtout occupé les intellectuels (philosophes, sociologues, historiens, anthropologues, etc.). Ils se sont beaucoup commis et ont su donner ces derniers mois de la perspective aux questionnements suscités par certaines pratiques d’accommodements raisonnables.
La poussière est retombée sur les pénibles esclandres médiatiques. Mais nous ne sommes à l’abri de rien. C’est tout de même heureux que ce soit maintenant qu’on soit invité, collectivement, à nommer ce qui va et ce qui cloche dans notre façon actuelle de composer avec la diversité culturelle et religieuse. Bien sûr, il y aura du pire et du meilleur dans ce qui s’exprimera devant la Commission. Normal. Cet exercice risque tout de même d’être salutaire et passionnant. Nous sommes conviés, au fond, à réfléchir aux bases éthiques communes à nous donner pour construire ce Nouveau Monde dans lequel nos enfants élèveront les leurs.