Si les écrivains québécois de langue française ont leur Union (UNEQ), ceux et celles de langue anglaise qui manipulent la plume ont également la leur, la Writers’ Union of Canada (TWUC). Les débuts des deux groupes ont été semblables. Ils sont nés dans leurs nationalismes respectifs, ils ont préféré le terme « Union » même si ce ne sont pas des syndicats, ils ont été créés principalement par des écrivains de fiction, et un intense sentiment d’appartenance a lié leurs membres fondateurs. La TWUC se voyait comme une « tribu », et ces gens ont utilisé le mot avec fierté.
Qu’est-ce que la Writers’ Union est devenue depuis ? En partie, un peu jalouse des acquis de l’UNEQ. La grande victoire des artistes au Québec a été fiscale. Pour les revenus dérivés des droits d’auteur, au niveau provincial, les artistes bénéficient d’une exemption allant jusqu’à 30 000 dollars, qui fait des envieux ailleurs au pays. Du côté de Toronto, où se trouve le QG de la TWUC, on trime fort pour faire accepter cette mesure par d’autres provinces et par le gouvernement fédéral. Sans succès.
La TWUC jalouse aussi la législation provinciale sur le Statut de l’artiste au Québec, qui était censée créer un paysage favorable pour les créateurs. Cette fois, la jalousie est sans raison. Oui, nous avons une belle loi sur le Statut de l’artiste ici, mais elle reste entièrement décorative, sans le pouvoir de changer la vie des écrivains.
Les écrivains Canadiens anglais, par l’intermédiaire de leur union, montrent un bel esprit d’engagement politique. Les travailleurs de telle bibliothèque font grève ? Il faut les appuyer ! Les journalistes de tel quotidien sont en lock-out ? Allons aux barricades ! La liberté d’expression d’un reporter de tel journal est menacée par la police qui insiste pour qu’il divulgue les sources de ses chroniques ? Écrivons des lettres de soutien ! Évidemment, il faudrait choisir ses batailles, mais parfois la TWUC les choisit toutes.
Le même esprit anime ce groupe lorsqu’il s’agit d’appuyer des minorités. On peut compter sur la présence de la TWUC dans les dossiers de l’éducation des autochtones, ou de l’appui aux jeunes immigrants cherchant à s’exprimer dans leur nouveau pays. Tout ce qui touche à l’expression écrite, ou bien à la lecture, touche la TWUC aussi. Cette philosophie leur crée un paysage politique très occupé.
Et n’oublions pas cette mélancolie : le conseil qui dirige la TWUC est hanté par sa propre disparition, à commencer par ses membres : ils sont plutôt âgés. Le groupe a fait un effort pour recruter « la relève », un concept qui ne se définit pas facilement. Et l’autre hantise, c’est la disparition du livre-objet, remplacé par quelque support électronique. Voilà néanmoins deux considérations que les deux Unions partagent.
Avec deux grandes assemblées d’écrivains, serait-il possible qu’elles travaillent de concert ? On a l’impression qu’elles sont si occupées sur leur territoire qu’elles ne se regardent pas. Pourtant, en avril passé, on a pu assister au grand Réveil à Ottawa, par une journée de tempête inoubliable, où les deux Unions ont réclamé que le gouvernement Harper privilégie encore l’investissement dans les arts au Canada.
Il y a eu des discours de circonstance, quelques caméras de la télé. On a pu suivre les échos dans la presse écrite, grâce à des textes percutants de Susan Swan et de Yann Martel. Cette journée-là, les paroles prononcées par Maka Kotto, député bloquiste, furent applaudies par tous. Plus tard, j’ai entendu ce commentaire de la bouche d’une Canadienne anglaise, dit avec un brin d’humour : « Mister Kotto, il ferait un bon premier ministre ! Il y a juste un petit problème... »
En politique, il faut savoir reconnaître ses alliés.