« Que jamais la poussière ne boive le sang noir des citoyens. » Eschyle, Les Euménides
On aura trop insisté sur le côté « pavé de 900 pages ». Non pas que vous vous ennuierez de ce livre une fois sa lecture terminée mais vous serez longtemps habité par cette histoire, par l’Histoire, la plus meurtrière, dans le sens du meurtre, de toute l’humanité. Quel souffle !
« J’ai été privé de mon droit de ne pas tuer », affirme celui qui se raconte dans ce roman. Réflexion intéressante mais somme toute légère pour quelqu’un qui a marché à plein dans l’idéologie et la politique nazie pendant toutes ces longues années qui ont mené à la guerre, ces années qui ont vu d’abord le massacre de tout ce qui pensait et agissait à gauche, l’extermination des malades en instituts psychiatriques et, dans un premier temps, la persécution systématique des juifs. Lisez, cette fois-ci en mode témoignage, Histoire d’un Allemand de Sébastien Haffner (Actes Sud/Babel) pour voir comment il faut vite refuser le mensonge si on ne veut pas perdre tous ses droits ou à tout le moins celui de ne pas tuer.
Ce livre, Les Bienveillantes, est passionnant grâce à son rythme et parce qu’il nous entraîne dans de multiples dimensions : celle du délire nazi, dans les recherches par exemple sur l’origine des peuples ; celle de l’action et du délire d’un individu ; celle de la mort administrée à un nombre incalculable de gens ; celle aussi d’une certaine angoisse des Allemands qui sentent, bien avant 1945, l’étau se refermer sur eux. Un roman profondément ancré dans l’histoire et le réel, mais d’abord un roman qui déroule des pans entiers d’histoire autour d’un seul personnage.
Jonathan Littell a écrit là un grand livre habité par les humains et les horreurs jusqu’à la dernière page.