Le véto sino-russe au Conseil de sécurité de l’ONU a donné le feu vert, le 4 février dernier, au régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Dans ce pays de mascarade, où les élections n’existent pas, la répression se durcit en faisant de plus en plus de morts. Mais qui en tire les profits ?
« Imposer à la manière nord-coréenne, écraser à la manière stalinienne, manipuler comme Ceaușescu », c’est la recette du président Bachar Al-Assad pour assurer son pouvoir, d’après le Syrien Mohamed Mahmoud. Ce membre du collectif syrien à Montréal est dans l’opposition depuis 25 ans. Toutefois, son indignation remonte aux années 1970, depuis que la famille Al-Assad détient le pouvoir en Syrie : d’abord, le père Hafez Al-Assad, ensuite son fils Bachar. Leurs politiques autoritaires ont fait de la Syrie un pays où règne la répression sanglante.
Des élections sans candidats
« En Syrie, il n’y a pas de candidats. Il y a une personne et il faut l’élire , déplore Mohamed Mahmoud. Le concept d’élection n’existe pas, tout simplement. Sur le bulletin de vote, il y a deux cercles : si vous votez pour le président, vous cochez le cercle noir, si vous votez contre, vous cochez le cercle rouge. Mais cela se passe ouvertement, devant tout le monde. Les superviseurs voient que vous avez voté contre le président. On vous envoie en prison sans procès ». Mohamed Mahmoud, qui a lui-même voté contre, a tout de suite été arrêté et forcé de changer son choix : « Ils m’ont traité comme si j’étais un criminel ! »
Selon Mohamed Mahmoud, quelques fois, le nombre de bulletins de vote dépasse le nombre de la population. « Même les morts votent pour le président ! C’est un pays de mascarade… », ironise-t-il. Ainsi, Bachar Al-Assad rappelle un personnage principal du roman russe Les Âmes mortes, de Nicolas Gogol, le petit escroc des années 1820. Il achetait des serfs morts à bon prix, mais toujours « vivants » dans le registre de l’État afin de créer une impression d’avoir une propriété florissante.
La répression, la Chine et la Russie
Depuis la mi-mars 2011, les sentiments révolutionnaires du printemps arabe ont envahi le peuple opprimé de la Syrie, mais la répression a frappé fort. Elle a fait plus de 6 000 morts d’après les données de l’UNICEF. Même si la Russie n’était pas la seule à imposer son véto à la résolution du Conseil de sécurité, est est en partie responsable de la poursuite des massacres selon Mohamed Mahmoud.
Néanmoins, comme l’a remarqué Bruno Tertais, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) dans son entrevue pour Atlantico, la Chine a joué le rôle de second plan. « Si Moscou avait accepté cette résolution, il n’y a guère de doute que la Chine aurait suivi. La Chine vote presque systématiquement avec la Russie, notamment dans son opposition aux ingérences étrangères, même humanitaires », affirme-t-il.
L’effet pervers de la géopolitique
« Avant, la milice syrienne, fidèle au régime, n’avait pas l’ordre de tirer. Maintenant, grâce à la Russie, elle l’a…, a expliqué Mohamed Mahmoud. Les intérêts de la Russie sont évidents : elle risque de perdre son repère à l’extérieur », poursuit le militant syrien. Le gouvernement russe, qui a toujours été loyal au régime autoritaire de la famille Al-Assad, pourrait en effet perdre sa zone d’influence dans la Méditerranée en cas des bouleversements politiques en Syrie. Son unique base militaire à l’extérieur des frontières de l’ancienne URSS est la base navale russe à Tartous, la ville côtière syrienne.
La Syrie et les élections russes : le divorce du couple « Poutine-Medvedev »
Les raisons géopolitiques ne sont pas les seules qui orientent la politique étrangère russe en Syrie. Alexandre Choumiline, le directeur du Centre russe d’analyse des conflits en Moyen-Orient et le rédacteur en chef du journal MidEast.ru, explique sur les ondes de Écho de Moscou que cette politique « reflète les tensions intérieures entre Vladimir Poutine, le premier ministre russe, et Dmitri Medvedev, le président actuel, à la veille des élections présidentielles. En effet, monsieur Poutine a promis aux électeurs de ne plus répéter l’erreur commise par monsieur Medvedev dans le cas de la Libye et d’avoir la politique extérieure plus ferme. »
Monsieur Choumiline fait allusion à la résolution concernant l’intervention militaire dans les affaires intérieures de la Libye votée par le Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie n’a alors pas bloqué la résolution, ce qui a eu des impacts désastreux sur son économie. En raison de la chute du régime de Mouammar Kadhafi, la Russie a perdu des dizaines de milliards de dollars en contrats militaires avec la Libye. Depuis, il n’y a pas eu de contrats avec les nouvelles autorités libyennes dans le domaine de la défense. Pour le premier ministre russe, le prestige économique prévaut donc sur l’injustice et la violation des droits des personnes. Après tout, la Syrie et la Russie ont beaucoup en commun, notamment les régimes politiques qui ne servent pas les intérêts du peuple.
Les opposants syriens de Montréal
À Montréal, la communauté syrienne se mobilise contre le régime de Bachar Al-Assad. La jeune militante syrienne Yara Hammoud, qui participe à la sensibilisation auprès des Montréalais, témoigne que l’absence de liberté de choix et de parole est très difficile à vivre. Mais le pire, c’est la peur. Son oncle a été arrêté et détenu pendant plusieurs années pour avoir remis en question la légitimité du gouvernement.
« Aujourd’hui, mon oncle est en liberté, mais j’ai tellement peur pour lui. Après les années en prison, il aspire plus que jamais à se révolter, mais il est déjà âgé et moins en forme que durant sa jeunesse… Tandis que la répression est encore plus sévère… », s’inquiète cette Montréalaise d’adoption.