Le roi Gyanendra et la destruction de la démocratie au Népal

mercredi 27 avril 2005, par Tapan BOSE

Le 1er février 2005, le roi Gyanendra du Népal a usurpé tous les pouvoirs exécutifs de l’État en proclamant l’état d’urgence. Il justifie sa proclamation par l’échec des partis politiques à adopter une approche unifiée contre le terrorisme, leur incapacité à tenir des élections à temps et leur trahison des aspirations de justice sociale, politique et économique du peuple. Or, ce sont les manipulations monarchiques qui ont directement contribué aux échecs du système multipartite.

Le pouvoir politique obtenu par les partis en 1990, en vertu de la politique de « réconciliation nationale avec le palais », a été partiel, et rapidement corrompu. Des éléments plus radicaux au sein du processus politique, les maoïstes, ont vite été désillusionnés et ont adopté la voie de la « guerre du peuple ». Ayant débuté dans la région montagneuse du centre ouest du pays, là ou les gens vivaient dans des conditions de pauvreté et de privation abyssales de tous les droits humains fondamentaux. La « guerre du peuple » s’est généralisée et est devenue implacable.

La réaction militaire de l’État népalais, inspirée par « la guerre planétaire au terrorisme », son échec à s’engager sur la voie de la conciliation grâce à un dialogue honnête sur la réforme politique, la mainmise de Gyanendra sur le royaume, à la suite du massacre royal du 1er juin 2001, n’ont réussi qu’à donner des munitions au conflit.

Le 19 juillet 2001, le premier ministre Koirala démissionne, un peu plus de six semaines après le couronnement de Gyanendra, reconnaissant ainsi son incapacité à faire échec au soulèvement, même militairement. Sher Bahadur Deuba le remplace et annonce une trêve avec les maoïstes. Le cessez-le-feu et la tentative de pourparlers de paix ont rapidement échoué en raison du refus du gouvernement de discuter des réformes importantes, telle l’élection d’une assemblée constituante qui réécrirait une nouvelle Constitution pour le pays.

Le 4 octobre 2002, le roi Gyanendra fait son premier geste direct pour s’approprier la direction du pays en vertu de l’article 127 de la Constitution qui lui permet de « donner les ordres nécessaires » à l’élimination de « toute difficulté » « en lien avec la mise en application de la Constitution ». Sous ce prétexte, le roi montre la porte au gouvernement Deuba, assume l’ensemble du pouvoir exécutif et nomme son propre cabinet ainsi qu’un premier ministre pour diriger l’administration.

En janvier 2003 une entente de cessez-le-feu est conclue avec les maoïstes. Des négociations ouvertes ont lieu au cours des sept mois suivants. Les pourparlers de paix sont rompus en août 2003 alors que les maoïstes refusent d’abandonner leur demande d’assemblée constituante et que le gouvernement tente de détruire leur organisation militairement, même si les négociations ne sont pas encore rompues. Le massacre de 19 sympathisants maoïstes par l’Armée royale le 17 août 2003, à Doramba, alors même que les représentants du gouvernement et les leaders maoïstes discutent de la paix à Dang, a été documenté de façon exhaustive par la Commission nationale des droits de l’homme du Népal et d’autres organismes internationaux de défense des droits humains. L’incident est un parfait exemple de la brutalité, du manquement aux règles et de l’impunité totale avec lesquels le régime népalais tente de mettre un terme à l’agitation sociale.

Enfin, le 2 juin 2004, sous la pression des démonstrations anti-répression organisées conjointement par cinq partis politiques, le roi nomme de nouveau Sher Bahadur Thapa au poste de premier ministre d’un gouvernement multipartite, promettant des pourparlers de paix avec les maoïstes et des élections dans les meilleurs délais. Les promesses n’ont pas été tenues.

Graves violations de droits humains

Les violations des droits humains ainsi que les atrocités comme des exécutions sommaires, des disparitions forcées, de la torture en détention, des détentions illégales et des enlèvements sont commises aussi bien par les forces de l’État que par les guérilleros maoïstes, et sont devenues endémiques et répandues. Six jours avant le coup d’État du 1er février 2005, la haute commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Louise Arbour, résumait la situation en ces termes : « Un climat d’impunité prédomine dans ce pays, preuve que la primauté de la loi, élément fondamental de toute société, est érodée de façon inquiétante. » Selon le Groupe de travail sur les disparitions des Nations unies, c’est au Népal que l’on compterait le plus grand nombre de disparitions.

Deux cent vingt-sept personnes ont perdu la vie, principalement lors d’opérations armées dans le seul mois ayant suivi le coup d’État du 1er février. L’utilisation de milices privées pour attaquer les villages considérés sympathiques aux maoïstes, comme cela a été le cas dans le district de Kapilbastu le 17 février, alors qu’une troupe lourdement armée de 1 000 hommes brûlait au moins 321 maisons, tuant et violant un grand nombre d’innocents au passage, annonce une nouvelle étape brutale des tactiques de contre-soulèvement qui menacent de transformer l’arrière-pays népalais en lieu de massacres. Des rapports indiquent également que l’État tente de créer des conditions de famine dans la région du centre ouest, bastion du soulèvement maoïste, en retenant les approvisionnements alimentaires essentiels. De telles tactiques visant à décimer la population insurgée ont été adoptées par l’Éthiopie entre 1983 et 1985 alors que des centaines de milliers de personnes sont mortes de faim, plus particulièrement dans les régions politiquement agitées de Tigary et de Wollo.

Des appels aux maoïstes demandant le respect des normes internationales du droit humanitaire et l’abandon de la violence pour se joindre au processus de dialogue et à la démocratie demeureront privés d’efficacité morale si la communauté internationale échoue à censurer et à freiner avec force la régression actuelle de la tyrannie monarchique dans une barbarie médiévale.

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