Le 24 janvier des recruteurs des Forces armées canadiennes ont installé un kiosque en début d’avant-midi à la station de métro Berri-UQAM. Des étudiants ont alors remarqué leur présence. Quelques heures plus tard, une cinquantaine d’étudiants étaient mobilisés pour encercler les recruteurs, crier des slogans anti-guerre et faire un peu de théâtre avec un die-in.
L’armée entend tourefois poursuivre sa tournée des cégeps même si elle est contrainte d’abandonner sa sollicitation dans 25 établissements postsecondaires québécois. Les associations étudiantes des cégeps et des universités sont en effet nombreuses à s’opposer à la présence de l’armée dans les écoles. Les lieux d’enseignement doivent, selon elles, être des espaces libres de toute militarisation.
Des kiosques des Forces canadiennes ont été perturbés dans plusieurs cégeps ainsi qu’à l’Université du Québec à Chicoutimi. Les moyens de pression sont pacifiques, mais n’en frappent pas moins l’imagination. Au Cégep de Sainte-Foy, un groupe d’étudiants a frappé fort en recourant au die-in, une manifestation théâtrale dans laquelle les gens se couchent sur le sol pour symboliser la mort des soldats et des civils. Luc Massicote, permanent de l’Association générale des étudiants du Cégep de Sainte-Foy, relate : « Le groupe était déguisé en Afghans et en militaires, leurs costumes étaient ensanglantés. Ils se sont couchés devant le kiosque. Il y avait des étudiants qui donnaient de l’information contre le recrutement militaire. »
Les Forces canadiennes poursuivent malgré tout leur campagne dans les cégeps. « Il nous reste huit écoles à visiter, dont quatre cégeps », indique le Major Guy Paquin, commandant du Centre de recrutement de la région de Montréal. Mais les collèges dont les associations étudiantes s’opposent à la présence de l’armée respectent pour la plupart leur position et n’acceptent plus la présence des Forces canadiennes. Dans d’autres cas, dont le Cégep de Sainte-Foy, l’administration balise la promotion faite par les Forces en leurs interdisant d’exposer leurs armes ou du matériel vidéo montrant des scènes de guerre.
La position des associations étudiantes, votée en assemblée, est encouragée par le Centre de ressources sur la non-violence qui milite contre la présence des Forces armées dans les écoles. Avec la campagne pancanadienne Opération objection, le Centre tente « d’informer la population étudiante sur l’envers de la médaille de la carrière militaire ».
Alexandre Vidal, responsable du volet québécois de la campagne, soutient que l’armée canadienne n’informe pas adéquatement les étudiants sur les risques encourus. « Il faut prendre conscience de l’état dans lequel reviennent nos soldats, on parle ici de détresse psychologique, de handicaps, de morts. » Ainsi, depuis le début de l’implication militaire canadienne en Afghanistan, 78 soldats canadiens ont perdu la vie, dont 30 uniquement en 2007. Par ailleurs, le ministère des Anciens Combattants dénombrait en 2006 10 000 personnes bénéficiant des pensions d’invalidité pour des raisons psychiatriques, dont 6500 liés au syndrome de stress post-traumatique. Ce nombre risque toutefois de décupler avec la mission canadienne en Afghanistan.
M. Vidal ajoute qu’« on vend aux gens une carrière d’aventure, de voyage, d’aide humanitaire, alors que seuls 56 Canadiens sont engagés dans les Casques bleus ». L’armée n’est pas selon lui un employeur comme les autres et l’école n’est pas un lieu approprié pour recruter. Il déplore que les « études soient de moins en moins accessibles au public au niveau postsecondaire, alors que les études militaires sont gratuites ; on est même payé pour étudier ».
À cela, le Major Guy Paquin réplique que « dans une société démocratique, on devrait laisser le libre accès à l’information et on devrait laisser les étudiants juger ». Selon lui, les militants pacifistes n’ont pas choisi la bonne cible pour faire valoir leurs revendications. Il invite plutôt les étudiants à s’impliquer politiquement. « L’armée est une institution apolitique, précise-t-il, et la place du débat sur la pertinence de l’armée est dans l’arène politique. Pour changer les choses, il faut choisir les gens à influencer. Ceux qui ont de l’impact sont ceux qui militent dans la bonne arène, qui écrivent des papiers, qui s’impliquent dans les partis. »
Alexandre Vidal croit également à l’importance de faire les choses démocratiquement. « C’est pourquoi ces actions sont entreprises à la suite d’une position de l’association étudiante. N’importe qui ayant une position différente peut se présenter en assemblée et la faire valoir. »
Le Major Paquin minimise les pertes encourues par le boycott des associations étudiantes, car une nouvelle tendance permet de recruter sans se frotter à ses opposants, celle du recrutement par Internet. Les futures recrues peuvent y trouver toute l’information désirée et faire leur demande en ligne. C’est beaucoup plus rentable que d’envoyer des représentants sur la route pour faire la tournée des écoles.
Surtout que l’effort de recrutement est considérable avec les nouvelles exigences du fédéral qui veut revigorer les Forces canadiennes. « On a un gros mandat, on veut croître. Et on fait face aux mêmes pressions que les autres sociétés, avec le vieillissement de la population et l’augmentation des retraités. Durant les années du déficit zéro, on n’a pas enrôlé. Mais cette année, l’armée prévoit enrôler 13 000 personnes, dont 3 000 à 4 000 au Québec. »
Le Centre de ressources sur la non-violence est conscient de ces nouvelles exigences et compte poursuivre son combat au secondaire. « On entame des actions avec les syndicats de professeurs, avec le réseau des écoles vertes Brundtland et avec les conseils d’établissement en vue d’empêcher les kiosques au secondaire et les cadets », explique M.Vidal. À ce sujet, son organisation écrit : « Il est important de garder en tête que le rôle des écoles publiques est avant tout d’offrir une formation citoyenne et professionnelle, pas un site d’embrigadement. »